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dans les climats sereins et ardens, il passera par des alternatives de vivacité et d’indolence. Le régime et le tempérament produisent aussi leurs effets, qui se rapportent au sentiment du bien-être ou de la force de la souffrance ou de la faiblesse. Que conclure de cela, si ce n’est que l’homme est sensible, et que son être moral, son esprit, son ame, lui-même enfin, s’intéresse nécessairement, par sa constitution, à tout ce qui arrive à ses sens ? Conclure que tout est corps en lui serait aussi raisonnable que tirer la même conséquence de ce qu’une perte de fortune attriste, de ce qu’une heureuse nouvelle égaie, de ce que le spectacle du malheur attendrit, en un mot, de ce qu’un fait extérieur et matériel modifie les dispositions de l’ame ; car cela aussi est du physique, agissant sur le moral.

Il faut donc écarter de la question les faits matériels qui sont de nature à provoquer directement des affections agréables ou désagréables, et à modifier ainsi le moral indirectement. Les effets qui en ce genre méritent surtout l’attention sont ceux qui paraissent n’avoir aucun rapport appréciable avec leur cause. Qu’une chose douloureuse occasionne de la douleur et trouble l’ame, rien de plus simple ; mais qu’une chose indifférente, dont les effets apparens et physiques n’ont nulle analogie avec notre état intérieur, modifie, accélère, ralentisse, suspende nos opérations mentales, le problème devient plus curieux et plus difficile. L’action des substances qu’on a nommées hilarantes produit la bonne humeur. Le café donne de l’esprit, même à d’autres que Voltaire. Or, quel rapport entre le café et l’esprit ? Est-ce parce que le café procure une sensation agréable ? Bien des breuvages donnent des sensations agréables qui ne profitent nullement à l’intelligence. Enfin, de tous les faits accumulés par Cabanis, aucun ne défie plus les explications que le plus simple, que le plus vulgaire, que celui dont Lucrèce disait il y a deux mille ans :

Cor hominum quum vini vis penetravit
Acris, et in venas discessit diditus ardor ;
Consequitur gravitas membrorum, praepediuntur
Crura vacillanti., tardescit lingua, madet mens,
Nant oculi ; clamor, singultus, jurgia sequuntur.
Cur ea sunt, nisi quod vehemens violentia vini
Conturbare animam consuevit corpore in ipso ?

C’est donc un fait que le physique influe sur le moral, à ce point qu’une cause physique, sans aucune signification morale par elle-même, en modifiant les organes d’une manière inaperçue de la sensibilité,