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que nous venons d’elle, et aucune des puérilité comme aucun des calculs du moment ne nous déciderait à renier notre origine. Il y a deux manières, en effet, de se séparer d’une doctrine antérieure, la réaction et le progrès. Nous détestons toutes les réactions, mais nous ambitionnons le progrès, fruit des années peut-être plus que du génie. Il nous semble que nos devanciers, s’ils revivaient, seraient avec nous, comme nous nous persuadons que, si le sort nous eût fait leurs contemporains, nous aurions été avec eux.

Ces précautions étaient nécessaires peut-être dans un moment où rien n’est moins tentant que de paraître, même en passant, dans les rangs des ennemis d’une philosophie quelconque. Je sais bien que ces sortes de gens n’en veillent plus guère à celle de Cabanis, qu’on peut la critiquer sans les rencontrer à côté de soi, et que même de pieux défenseurs des causes saintes semblent quelquefois regretter le temps où elle dominait sans débat, et couvrir d’une amnistie les systèmes qui indignaient Joseph de Maistre ; mais il faut peu s’attacher à ces variations, à ces artifices de la polémique. Au fond, ce n’est point à tel ou à tel système qu’on en veut, c’est à la philosophie même, c’est-à-dire à la raison libre. On la cherche là où on la voit active et puissante, et délaissant les positions par elle abandonnées, on réserve toutes les attaques pour les points nouveaux où elle a planté son étendard. L’objet permanent d’une inimitié intéressée, n’est-ce pas cette vraie puissance spirituelle qui sous des formes diverses a, depuis le moyen-âge, affranchi le monde, et préparé ou fondé l’état nouveau des sociétés humaines ?

Que ceci soit une bonne fois, et revenons à M. Peisse, pour examiner avec lui les principes philosophiques de Cabanis.

On sait que c’était en France, au XVIIIe siècle, une maxime reçue, un axiome, un dogme que cette proposition : toutes les idées viennent des sens. Le mot d’idées désignait tout ce que pense l’humanité, et les sens étaient le nom de la sensibilité. La proposition signifiait donc que la sensibilité est l’origine de la pensée, ou que la pensée est la sensation transformée. Or la sensation, la sensibilité, les sens, tout cela n’existe qu’à la condition d’un appareil matériel qui est l’organisme. L’organisation ou le cors organisé, c’est le physique. Certains phénomènes de l’organisation donnent ou paraissent donner ces affections ou modifications intérieures qui s’appellent sensations. Or la sensation et tous ses dérivés, idées ou facultés, c’est le moral ; et comme la sensation ne va pas sans l’organisme, le moral ne va pas sans le Physique : il y a des rapports entre le moral et le physique. Telle