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n’accordèrent jamais que la réorganisation sociale eût besoin d’une dictature même glorieuse, et que la révolution ne possédât pas dans ses propres principes et dans ses propres forces tout ce qu’il fallait pour se sauver, sans recourir à l’onéreuse protection d’une habileté toute puissante. Jugea-t-il bien alors une question que la France après tout, a décidée autrement que lui ? Ce n’est pas le lieu de prononcer ; mais il est toujours à propos d’honorer ces nobles intelligences dont les convictions opiniâtres résistèrent à la pression du malheur aux mécomptes des évènemens, aux séductions même de la gloire et du génie. Dans un temps où tant d’esprits distingués d’ailleurs, troublés et comme abaissés par des épreuves moins rudes et de médiocres difficultés, remettent en question les croyances de cinquante années et se rendent aux tentations d’une vulgaire prudente, on se sent touché d’un respect profond pour les hommes qui, au commencement de ce siècle, sans autre engagement avec la révolution que l’honneur de leurs principes, n’ont jamais désespéré d’elle, et qui, dominant des réactions irréfléchies, ont confié le triomphe de leur cause à un avenir qu’ils savaient bien que leurs yeux ne verraient pas.

Tel fut Cabanis, et dans le portrait fidèle que nous retrace M. Peisse, nous reconnaissons parfaitement ce noble caractère qui unissait à la dignité la bienveillance, qui tempérait l’inflexibilité des convictions par une douceur captivante, heureux mélange de qualités exquises qui inspirait à l’excellent Andrieux l’idée inattendue de le nommer à côté de Fénelon[1].

Il nous convient de parler ainsi de l’homme, et de protester encore une fois de notre invariable attachement à la cause qu’il servit, quand en étudiant de nouveau son principal ouvrage nous allons accuser encore une fois les graves différences qui s’élèvent entre lui et nous. Dans la sphère de la métaphysique, nous nous séparons de Cabanis et des siens, on le sait, et cependant nous faisons profession d’être au nombre des obscurs continuateurs de la philosophie qui donna au monde la révolution française. Jaloux d’assurer à cette philosophie une autorité plus grande en l’appuyant sur des principes plus élevés et plus certains, nous essayons de la faire profiter de ce que le temps, l’expérience et la réflexion nous peuvent avoir appris ; mais nous savons

  1. Je cite de mémoire, et je ne garantis pas la parfaite exactitude de la citation. C’est, je crois, dans une pièce de vers lue à l’institut que l’auteur parle de ceux qui un jour
    Seront réunis
    Avec les Fénelon, avec les Cabanis.