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contemporains qui ont approfondi l’art de la déclamation ? Je l’ignore. Ils ne font preuve de leur habileté qu’en traçant les évolutions matérielles de la mise en scène. Ce n’est pas seulement par leurs conseils, c’est encore par leurs ouvrages que leur influence pourrait se manifester utilement. Qu’ils fournissent plus souvent des rôles fait pour exciter l’intelligence, qu’ils ne cherchent plus l’effet que dans la puissante personnification des caractères, que la plénitude de leur style commande une diction exacte et mélodieuse, et ils verront refleurir des talens qu’on croyait épuisés ; que les rôles secondaires, ne soient pas tellement sacrifiés qu’on ne puisse y faire ses preuves, et des talens nouveaux, qu’on verra apparaître, répondront de l’avenir.

Et le public lui-même ne semble-t-il pas avoir abdiqué ? Le comédien de notre temps n’entend presque jamais que cet affreux tapotement de la claque salariée qui sonne faux comme un mensonge. Quelle différence entre les conditions où le place notre froideur et celles où s’épanouissaient les talens de ses devanciers ! La clientelle de la Comédie-française, à sa plus belle époque, était peu nombreuse ; mais c’était l’élite du peuple qui donnait le ton à tous les autres suivant un calcul de Lekain, le théâtre était fréquenté par quatre à cinq mille personnes au plus, dont un dixième avait ses entrées gratuites. À ce compte, en admettant un minimum de mille personnes par soirée, la salle se retrouvait garnie des mêmes figures tous les quatre ou cinq jours. Une preuve de ce fait, c’est que sur une recette d’environ 400,000 livres, les petites loges louées à l’année procuraient au moins 200,000 livre. Ainsi, l’acteur et le spectateur se connaissaient, se comprenaient, possédaient également bien le répertoire, les traditions, les règles du métier, communiquaient directement par les annonces faites de vive voix, par les discours de rentrée et de clôture, avaient, en un mot, mainte occasion de se renvoyer mutuellement l’enthousiasme. « Après la pièce, disait à l’âge de quatre-vingt-six ans Mlle Dumesnil, en dictant ses Mémoires dans le grenier ou la révolution l’avait conduite, le foyer de la Comédie française offrait l’aspect d’un des plus beaux salons de compagnie de Paris. On ne s’y montrait que paré : magnificence, graces, manières, élégance, politesse, galanterie, esprit, conversation piquante, tout y était réuni pour l’instruction d’un jeune acteur qui savait observer. Les actrices y avaient le maintien du plus grand monde et la plus aimable décence. »

Les applaudissemens de la bourgeoisie, les cajoleries de la noblesse, flattaient les comédiens sans les satisfaire. Il fallait à leur légitime orgueil l’assentiment d’un petit nombre d’hommes à qui la voix commune