Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur voix d’accens chaleureux et sympathiques. Ce contraste entre le sens grivois des paroles et le ton enthousiaste de l’acteur vient de Baron, qui mettait de la coquetterie à conduire, dans ce passage, les spectateurs jusqu’aux larmes. Lorsque Talma, au second vers de sa fameuse entrée du rôle de Néron, disait : « C’est ma mère… je dois respecter ses caprices, » on comprenait, à un fremissement d’impatience mal contenu, que le monstre serait bientôt à bout de son respect filial. On applaudissait Talma : il eût fallu admirer Lekain, premier auteur de ce trait. Voilà de ces inspirations que tout artiste doit être lier de s’approprier. Mais, combien de fois la routine, fille bâtarde de la paresse, a-t-elle usurpé les droits de la légitime tradition ? Citons quelques exemples.

Pendant plus d’un siècle, il fut d’usage que le même acteur remplit les rôles de rois et de paysans, et comme Montfleury, le premier qui eût cumulé ces titres, était grand, gros, largement entripaillé, comme a dit de lui Molière, une forte complexion fut exigée de tous ceux qui abordèrent ce double emploi. Il se trouva quelques sujets, Lathorillière l’ancien, Brécourt, Sallé, Ponteuil, qui réussirent dans les deux nuances ; mais la plupart étaient déplacé au moins dans un genre, comme le poète comique Legrand, qui, parfait dans le grotesque, usait de son droit pour faire rire dans la tragédie aux dépens de la majesté royale. Par analogie, la même actrice devait remplir les rôles de reines et de soubrettes. Mlle Desmares (1699-1721) jouait avec un égal succès dans la même soirée Athalie et Lisette, Jocaste et Nérine. Souvent les défauts, les infirmités physiques de ceux qui ont fait école, sont passé dans la tradition. Le nazillement des comique est un héritage de ce Julien Geoffrin, qui créa, il y a plus de deux siècles, le type de Jodelet, dans la farce improvisée. Béjart, à qui s’adressait personnellement ce mot que Molière a mis dans la bouche, d’Harpagon : Chien de boiteux ! a fait boiter long-temps tous les héros de la grande livrée. Les trois excellens comiques du nom de Poisson ont eu un bredouillement contagieux. Théramène, quand il vint pour la première fois débiter à Thésée la magnifique amplification qui termine Phèdre ; portait, comme les héros tragiques de son temps, une vaste perruque, à la Louis XIV. Arrivé à ce passage : J’ai vu, seigneur, j’ai vu votre malheureux fils, etc., il exprimait le désordre de son désespoir en rejetant par derrière une des touffes de devant, de même qu’aujourd’hui, dans les grandes crises, on passe ses doigts dans ses cheveux. Cette tradition du bonhomme Guérin a duré autant que les perruques à la Louis XIV. Qu’on ne croie pas que les sujets ineptes se laissent