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baissés, les bras croisés sur la poitrine, immobile et muet comme une statue sur un tombeau. Le juge inique lui défère la parole et l’engage à se défendre. On dirait que Virginius n’a pas compris. Pendant quelques instans, il conserve la même attitude. Seulement on voit sa figure s’animer : les passions dont il est agité, s’y venant peindre tour à tour, attirent sur lui tous les yeux. La foule attend ; on respire à peine. Virginius lève la tête lentement, et lentement la tourne jusque dans la direction du tribunal. Appuyant alors ses regards sur ceux du chef des décemvirs avec une fierté pleine d’amertume, il garde le silence un moment encore, et enfin, de cette voix sourde et douloureuse qui échappe quand le cœur se brise : Traître ! s’écrie-t-il, et, ce mot dit, il se tait long-temps encore en regardant son ennemi.

Les personnes qui ont vieilli dans le métier ne manqueront pas de dire que la science abstraite du geste est inutile, puisqu’elle n’existait pas lorsque nos plus grands acteurs ont illustré la scène. Il est vrai que les âges les plus heureux pour les arts sont ceux ou on les discute le moins. Les grands génies arrivent au beau sans se rendre compte du travail qui s’opère en eux : l’éducation des artistes secondaires se fait sympathiquement, par l’imitation et par la pratique. À cette époque où on ne concevait pas autre chose sur notre scène qu’une large et poétique interprétation de la nature, le mot idéal, employé par opposition au mot naturel, dans le sens que lui a définitivement attribué l’esthétique allemande, n’existait peut être pas dans le vocabulaire de l’acteur. Les définitions, les analyses, les théories sur le papier ne sont, je l’avoue, que des ordonnances pour les malades. Mais, hélas ! ne sommes-nous pas un peu dans le cas d’en avoir besoin !

Ce que j’ai dit plus haut de l’influence de la diction usitée au théâtre sur le ton du parler habituel dans la société est applicable au geste et à la tenue. Au siècle dernier, l’Europe disait d’une façon proverbiale qu’un homme accompli devrait avoir les jambes d’un Espagnol, la main d’un Allemand, la tête d’un Anglais, le regard d’un Italien, le corps, la taille et le maintien d’un Français. C’était l’époque où nos acteurs se distinguaient par l’éloquence corporelle et les belles manières. Aujourd’hui que le sentiment de la distinction n’est plus propagé par les modèles que nous offre la scène, je doute qu’il nous soit permis de nous croire encore supérieures aux autres peuples par l’élégance et la noblesse du maintien.