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Je m’écrie au premier coup d’œil : Qu’elle est belle ! Et ensuite mon geste, calme et indifférent, achève ma pensée, en décrivant les lignes qui caractérisent les belles formes. Dans ce second exemple, mon geste descriptif, dessinant, illustrant une simple conception de mon esprit, est venu après ma parole pour lui servir de commentaire.

La confusion des deux sortes de gestes est souvent ce qui fatigue dans le jeu des acteurs médiocres. Si les pantomimes nous paraissent assez souvent ridicules, c’est qu’à défaut de dialogue on y exprime presque toujours la passion par un jeu descriptif qui n’est pas dans la nature. Bien que disposé à recevoir avec une soumission respectueuse, en fait d’art, les traditions favorables aux anciens, j’incline à croire que leurs pantomimes si vantées n’étaient pas moins défectueuses que les nôtres, qu’ils y abusaient du geste descriptif, et que même ils avaient, parmi leurs moyens d’expression, certains signes conventionnels avec lesquels on se familiarisait à la longue, par la fréquentation des spectacles. On sait que Cicéron et Roscius s’étudiaient à exprimer éloquemment certaines pensées, l’un par la parole, l’autre par son jeu muet. A plusieurs reprises, l’orateur changeait les mots en conservant toujours l’idée, et aussitôt, dit Macrobe, le comédien parvenait à traduire exactement cette même idée par des gestes différens. Évidemment, ces gestes que Roscius différenciait ainsi n’étaient pas ceux de la passion.

Les gestes descriptifs ne peuvent pas devenir un sujet d’exercices parce qu’ils sont capricieux et accidentels. Les gestes instinctifs de la passion, qui se reproduisent constamment sous l’influence des mêmes causes, sont les seuls qu’un artiste doit observer et reproduire. Cette étude n’est autre que celle de l’ame humaine dans ses manifestations extérieures. M. Delestre, rectifiant une théorie émie par les derniers éditeurs de Lavater, expose que les gestes qui traduisent la passion correspondent aux trois états divers qui peuvent affecter l’ame humaine : excentration, état dans lequel l’individu semble se dilater, où son corps se porte en avant, où l’ame se précipite, pour ainsi dire, dans l’organe qui est en jeu ; concentration, état opposé, crise douloureuse dans laquelle l’individu éprouve le besoin de se replier sur lui-même, et enfin un état intermédiaire, qui est celui du calme ou de l’impuissance. Si l’on faisait la grammaire du geste, comme les anciens l’avaient faite, j’en suis convaincu, on verrait que ces trois formes d’expression mimique correspondent aux formes active, passive et neutre du langage grammatical. Une anecdote fera comprendre la