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Découvrir le vice, prescrire les exercices qui le peuvent corriger, c’est de la part d’un maître une affaire d’inspiration autant que d’expérience. C’est encore Lekain qu’il faut nommer pour citer un miracle opéré dans ce genre : sa voix, lourde et rebelle à ses débuts, acquit une sonorité si riche en nuances, si expressive, qu’elle remuait, assure-t-on, jusqu’à des étrangers incapables de comprendre les paroles. Molé établit à ce sujet un principe qu’il n’est pas inutile de rappeler : c’est que Lekain, en améliorant sa voix, évita d’altérer les tons qui lui étaient naturels, tandis que trop souvent les acteurs qui ont cherché à se faire une voix dramatique en ont faussé le timbre en sortant violemment de leurs habitudes. « Sans le médium de la voix, ajoute Molé, point de vérité, point d’illusion, point de talent de premier ordre. Ce serait un peintre qui couvrirait son dessin de couleurs toutes fausses, qu’un acteur qui couvrirait son parler d’une voix factice. » Avis aux jeunes tragédiens qui se tourmentent pour sombrer leur voix ; avis aux débutantes de la comédie qui, souvent aujourd’hui, falsifient leur parler en cherchant la voix souriante de Mlle Mars.

Le goût régnant dans la vocalisé musicale exerce une influence remarquable sur la déclamation au théâtre, et même sur les habitudes du langage dans la société. Sous Louis XIII, on blâmait dans le chant une ornementation de mauvais goût mise à la mode par des artistes venus d’Italie. Le ton du dialogue alors, à la scène comme à la ville, était cette affectation, cette préciosité dont Molière a fait justice. Lulli ayant créé ce beau style musical qui, sans sacrifier la saveur mélodique, tire ses principaux effets de la pureté et de la justesse de l’expression ; les maîtres s’appliquèrent aussitôt à développer, dans ce sens le mécanisme vocal de leurs élèves. Le fameux Lambert, sans renoncer aux agrémens du genre italien dont il abusait au point d’irriter son gendre Lulli, donna bientôt l’exemple de l’ampleur et de la précision du style. L’articulation exacte, le ton fin et galant, la vérité expressive, l’accord du sentiment mélodique et de la grammaire, tels sont les principaux points d’études recommandés par Bacilly, vieux maître de chant qui a laissé sur son art un livre estimable. Sous ces influences, on commence dans le monde à se piquer de belle prononciation, et sur la scène, on introduit ce système dramatique dont la principale séduction est la mélodie du langage. Au XVIIIe siècle, on ruine le principe en l’exagérant. Pour le public comme pour les artistes, l’idéal du chant est une déclamation plus fortement accentuée que le simple parler. On ralentit tous les mouvemens, même pour les opéras de Lulli,