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harmoniques qui constituent le chant. La déclamation proprement dite semble résulter du double mécanisme de la parole et du chant. Comme pour répondre à cette musique intérieure qui résonne chez le poète, elle parle aux sens en même temps qu’à la pensée : c’est là qu’est son charme et sa puissance.

L’hygiène de l’organe vocal était fort compliquée chez les anciens ; on le conçoit, puisque chez eux la voix, principal instrument de la publicité, accomplissait beaucoup de fonctions dont la presse, la grande voix des temps modernes, la destituée en partie. On serait tenté de croire que l’industrie des phonasques n’était qu’un charlatanisme impudent, à en juger par les indications qui nous restent. Une vingtaine de plantes, auxquelles on attribuait la vertu d’éclaircir la voix, étaient, suivant Pline et Perse, employées en cataplasmes ou en gargarismes. Au dire de Suétone, Néron se soumettait à des ordonnances que M. Purgon n’eût pas désavouées. Les chanteurs se condamnaient à un régime des plus sévères, et ne se nourrissaient que de légumes lorsqu’ils devaient se faire entendre : d’où leur était venu le sobriquet de fabarii, mangeurs de fèves. Les études de vocalise, décrites par Cicéron, consistaient, comme dans nos écoles, à poser, soutenir, fortifier, nuancer le son dans tous les tons de l’échelle musicale Les acteurs s’y exerçaient chez eux chaque matin, et quelquefois même au théâtre, dans l’intervalle, d’une scène à l’autre. Je me suis demandé d’abord pourquoi les anciens recommandaient à l’élève de se coucher sur le dos pendant le travail de la voix : c’est peut-être parce que, dans cette position, on obtient mieux ce relâchement musculaire, cet amortissement de tous les organes qui facilitent les vibrations sonores. Au surplus, la vocalise des anciens différait de la nôtre en ce qu’elle devait avoir pour but d’augmenter le volume de la voix, plutôt que sa qualité. Dans nos salles fermées et construites généralement dans les meilleures conditions de l’acoustique, ce n’est pas avec la plus forte voix qu’on est le mieux entendu. Le public ne se gêne pas avec celui qui crie. Un acteur qui tient bien la scène et soigne son articulation semble d’autant mieux commander le silaence qu’il parle plus bas : on retient son souffle pour ne pas perdre l’émotion attachée à chaque syllabe qu’il prononce.

Bien peu de personnes se font une idée du travail que s’imposaient nos anciens acteurs pour assurer la portée de leur organe, pour perfectionner le mécanisme de chaque lettre, pour parvenir à nuancer leur débit, en obtenant des sons plus ou moins éclatans, des sons intentionnels, comme on disait dans la langue du métier. C’est en travaillant