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ne sont pas les mêmes, et que le style idéal exige un apprentissage de mécanisme beaucoup plus laborieux que la simple reproduction de la réalité.

Le premier et le dernier mot de cet art qui offre un reflet fidèle de la nature, se trouvent exprimés dans cette phrase d’un critique anglais : « Pour rendre avec justesse l’action théâtrale, il faut agir exactement comme aurait fait celui qu’on représente dans les circonstances où l’acteur est placé par le poète[1]. ». Il n’y a pas de voie tracée devant ceux qui marchent dans cette direction : on ne peut que leur indiquer certains écueils. Bien difficilement ils concilieront la belle tenue, le parler séduisant, avec la prétention de transporter sur la scène l’exacte réalité. « Il y a une raison générale du défaut de noblesse dans notre théâtre, dit l’auteur que je viens de citer : les comédiens sont les copistes de la nature, qui, malheureusement, en fait de noblesse, nous offre, peu d’originaux. » Il était beau de voir, dans Othello, ce Barry que craignait Garrick, rougir sous la teinte noire qui déguisait son visage, et, vrai lion du désert, lion blessé et furieux, bondir chaque fois qu’il ressentait les pointes de la douleur. « Il semblait, dit la tradition, s’élever de terre, à chaque mot qu’il prononçait. » De tels effets nous paraissent admirables, parce que nous les savons appliqués à un caractère exceptionnel. Malheureusement, on fut forcé de transporter ces mêmes effets dans la plupart des rôles, et d’abuser, comme dans nos mélodrames, de l’exagération de l’énergie, parce que la nature copiée exactement, ne peut être intéressante que dans les instans où la passion se manifeste. Une agitation désordonnée devint le moyen vulgaire d’animer ce drame qui admettait si difficilement la simplicité noble et sympathique. Je parle d’après la même autorité. « A tous propos jouer des bras, des jambes, et battre tous les recoins de la scène, est un art anglais. S’il plaisait à nos acteurs de prêter plus d’attention à leurs voisins, ils se corrigeraient. » Les grands acteurs de l’Angleterre n’ont échappé à cette fatalité de leur système qu’en se rapprochant du style consacré en France, en s’élevant, à l’idéalisation dans toutes les parties de leur répertoire qui le permettaient. Ainsi s’expliquent les changemens et les mutilations que le XVIIIe siècle osa Infliger à Shakspeare, afin d’obtenir une plus grande unité de tons, en atténuant la crudité trop réelle. De certains détails. Nous pouvons voir présentement chez nous-mêmes les acteurs qui ont établi leur réputation

  1. Garrick ou les acteurs anglais, ouvrage écrit vers le milieu du dernier siècle, et traduit en français par le comédien Sticotti.