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que jamais ils ne modifient leurs opinions ; il faut les trépaner avant de parvenir à les convaincre. » La critique est gaie ; mais, comme esquisse de l’homme d’état intrépide et qui ne doute de rien, elle ne paraît pas invraisemblable. On se prend involontairement à regretter, quand on a lu ce passage, que M. Sydney Smith ne se soit pas appliqué à des portraits politiques. Il y aurait assurément réussi, car, lorsqu’il peint un personnage en passant, il saisit bien sa physionomie, il en accuse vivement les défauts, et quelquefois les caractérise d’un seul coup de pinceau, comme dans ce mot sur un théoricien qui peut s’appliquer à toute l’espèce « M. Grote est un très digne, très honnête et très habile homme, et, si le monde était un échiquier, ce serait un politique d’importance. »

Il y avait sept ans que le nouveau chanoine de Saint-Paul avait résigné cette fonction de reviewer qu’il s’était créée pour lui-même (self created office), comme il le rappelle avec un légitime orgueil, quand il prit le parti de rassembler ses écrits détachés et de les réunir en volumes. Il semble qu’en cette occasion il ait plutôt accompli un devoir que cédé à l’ambition de publier un livre. Forcé de se relire une dernière fois ? de se placer en face de lui-même, il a donné à ses propres dépens un bel exemple d’impartialité qui ne trouvera guère d’imitateurs. L’homme d’aujourd’hui a jugé l’homme d’autrefois, et plus rigoureux pour ses propres fautes qu’il ne l’avait été pour les erreurs d’autrui, contemplant de sang-froid les opinions.et les idées qu’il n’avait vues jadis que dans la chaleur de la lutte, il a jeté dans quelques notes des aveux qui touchent, et, le dirai-je ? qui surprennent comme tout ce qui est simple, naturel et honnête. Quoi de plus fréquent, lorsqu’on fut mêlé aux débats de la politiqué (et il ne faut pas l’avoir été beaucoup pour avoir attaqué vivement quelqu’un ou quelque. chose), que de se dire au fond du cœur, l’heure de l’agitation passée : « J’ai été trop loin, ceci n’était pas vrai, ceci était injuste, » mais quoi de plus rare que de l’imprimer ? Voilà ce que M. Sidney Smith a noblement fait. Ainsi il avait vivement raillé M. Sturges Boume (qui fit plus tard, si je ne me trompe, partie de l’administration de Canning) ; lorsque, trente ans après, ses regards rencontrent une plaisanterie qu’un juge moins sévère de ses propres fautes aurait pu croire innocente, il ne peut s’empêcher de dire : « Il n’y a rien qui dépare plus les Lettres de Plymley que cette attaque dirigée contre M. Bourne, qui est une personne d’honneur et de talent ; mais voilà où mènent les mauvaises passions de l’esprit de parti. » Castlereagh n’était pas un homme vénal, cependant M. Smith l’avait représenté comme capable de recevoir de toutes mains. « Je l’ai injustement accusé, » avoue-t-il franchement.