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sur l’un des plus grands actes de la justice tardive d l’Angleterre, l’affranchissement des catholiques. M. Sydney Smith est un de ces hommes dont la raison a tant de rectitude, que toute injustice les révolte, un de ces esprits inflexibles qui ne sauraient concevoir que ce qui est inique et cruel soit jamais utile aux états, et n’ont point de repos qu’ils n’aient fait triompher le bon droit des opprimés. Ce sentiment de la justice a quelquefois chez lui toute la vivacité d’une passion. Il a beau être d’un tempérament rebelle à l’enthousiasme : la première fois qu’il lui est arrivé de peindre les longues infortunes endurées par le pauvre peuple d’Irlande et les folies sanguinaires dont il fut si souvent la victime, sa froide nature de critique s’est ébranlée malgré lui ; émus comme homme, comme chrétien, comme Anglais, il a trouvé l’éloquence de son indignation. Du reste, le premier transport passé, sa gaieté railleuse a repris le dessus, sans doute parce qu’il s’est dit que ni la colère ni la sensibilité n’avaient gagné le procès de l’Irlande. M. Sydney Smith prit une attitude toute nouvelle dans cette lutte qui avait duré si long-temps, et qui semblait ne devoir jamais finir. Il se réserva la tâche, difficile de détruire les préventions que la masse du peuple anglais nourrissait contre les catholiques, et s’attaqua de préférence à cette puissante faction des sots, qui était le plus ferme appui des adversaires systématiques de l’Irlande. Si jamais l’esprit pouvait être utile, c’était dans une pareille question. Sans doute, il faut bien se garder de combattre avec des sarcasmes les sentimens sérieux de tout un peuple ; le dard de l’ironie s’émousse, sur les fortes croyances et ne fait qu’irriter le véritable fanatisme : il ne fait pas bon de rire dans les révolutions ; mais lorsque les temps de trouble sont passés, lorsqu’aux grandes passions vite éteintes ont succédé de mesquines rancunes et des préjugés absurdes, quelle arme précieuse que le ridicule ! que de services une satire lancée à propos peut rendre dans une juste cause ! La logique simple et nue porte-t-elle des coups aussi certains ? Car la sottise publique (qu’on me permette le mot) est ainsi faite : l’entraînement du cœur, le feu de la conviction, la mettent en défiance ; elle se cuirasse d’insensibilité dès qu’elle s’aperçoit qu’on veut la prendre par les sentimens ; mais qu’on la poursuive de railleries, qu’on ne lui laisse point de relâche, elle finira par perdre contenance, et reculera en désordre sous le feu meurtrier de cette incessante moquerie, et quelquefois un mot qui aura rencontré le défaut de l’armure produira un effet plus merveilleux que vingt volumes de chaleureuses invectives et de démonstrations sans réplique n’auraient pu faire. C’est ce qui est arrivé pour la question catholique ;