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nous tous, celui que cette publication aura mis le plus en relief ; on sait généralement dans le public, quelles sont les pages qui viennent de lui, et sans comparaison ce sont les meilleures de la Revue. » Ainsi, à peine la critique honnête venait de s’établir au milieu, je devais dire au-dessus des journaux littéraires sans dignité, sans conscience, dont l’Angleterre et l’Écosse étaient inondées alors, à peine avait-elle prouvé par la hauteur de ses vues, par une élégance peu commune de style et de pensée, et surtout par un parti pris de franchise, qu’elle voulait se soustraite à la double tyrannie des auteurs et des libraires, que déjà les amours-propres blessés au vif et la spéculation alarmée criaient au public qu’elle allait trop loin, et réussissaient presque à la troubler elle-même. Jeffrey s’était attendu à cette première défaveur ; plus ferme que Horner, il ne perdit point son temps à tâter pas à pas le terrain de l’opinion ; il avait accepter bravement, avec les fonctions d’editor, les dégoûts, les faux jugemens, les calomnies même qui en tout temps ont rempli d’amertume la vie des hommes de cœur engagés dans les luttes de la critique : trop heureux quand il n’avait que de pareils ennuis à supporter ! Ses plus graves soucis lui venaient de ses collaborateurs mêmes, dont il avait à réveiller le zèle ou à gourmander la paresse. Quelques-uns quittèrent Édimbourg vers la fin de 1802 ; M. Sydney Smith retourna en Angleterre, où il reprit ses fonctions ecclésiastiques ; Horner se rendit à Londres pour y étudier de plus près les grandes question d’économie et de finances. Il fallut que Jeffrey entretînt une correspondance suivie avec ses amis dispersés, qu’il pressât de loin leurs travaux, et rassemblât non sans peine les matériaux incertains de chaque livraison. C’étaient là de petite misères dont le public ne se doutait point, mais qui mettaient souvent sa constance à de cruelles épreuves et avaient fini par nuire à ses travaux littéraires : « Vous dites, écrivait-il à Horner en 1804, que je ne produis pas assez. En peut-il être aurtrement ? Je perds tant de temps à stimuler mes fournisseurs retardataires, qu’il ne m’en reste guère pour faire quoi que ce soit. Je commence à croire qu’en ceci, comme dans bien d’autres cas, les fonctions d’editor sont incompatibles avec le métier d’auteur. Une autre raison de mon apparente paresse, c’est qu’en ma qualité de patron de la fête, je prends ma place le dernier, et il m’arrive souvent de trouver la table envahie par les convives sans que je m’en sois aperçu. » Ce ne sont pas là les seuls embarras que ses confidences révèlent. Jeffrey songe à une foule de sujets qu’il ne peut traiter lui-même ; il faut qu’il se mettre en campagne pour trouver les écrivains les plus capables de les faire valoir.