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que quelques mots en passant sur cette époque si intéressante de sa vie. Sa spirituelle gaieté eût animé singulièrement un récit où il aurait raconté par quels degrés ces studieux jeunes hommes, dont l’amitié exerça une influence si grande sur leur avenir, en vinrent vouloir examiner, dans une publication périodique, toutes les questions philosophiques et morales qui ont, dans tous les temps, attiré les grandes intelligences, et que, jusque-là, ils s’étaient contentés de débattre entre eux. M. Sydney Smith se borne à nous apprendre, avec le laconisme qui lui est ordinaire, que se trouvant un jour au huitième ou neuvième étage que Jeffrey, jeune et pauvre alors, habitait dans Buccleugh-Place, l’idée lui vint de proposer l’établissement d’une revue ; que cette idée fut accueillie par ses amis avec acclamation ; qu’il se trouva seulement en désaccord avec eux sur le choix de l’épigraphe latine à placer sous le titre, et qu’enfin, nommé editor ou directeur du nouveau recueil, il resta juste assez de temps à Édimbourg pour en faire paraître la première livraison.

Heureusement, les collaborateurs de M. Sydney Smith n’ont point imité sa réserve, ou plutôt son indifférence ; les mémoires de Francis Horner, publiés l’année dernière à Londres, contiennent de curieux détails sur l’histoire pour ainsi dire intime de la Revue d’Édimbourg. Ils font connaître les difficultés d’exécution, les obstacles très sérieux, quoique ignorés du public, que toute entreprise honnête et sérieuse de critique rencontre au dedans de soi, alors même qu’elle vient se placer au milieu des circonstances les plus favorables, entre une littérature féconde et de grandes choses à faire en politique, lorsque tout semble enfin appeler l’avènement des talens et des ambitions d’une certaines valeur. Avant d’arriver à l’examen des écrits de M. Sydney Smith, montrons les commencemens de l’œuvre à laquelle il devait prendre une part si active.

Dans les associations les plus libres, il y a toujours un homme qui finit par exercer sur ses égaux une autorité d’autant plus légitime, qu’il la doit seulement à l’irrésistible ascendant de sa supériorité. Telle paraît avoir été la position de Jeffrey au milieu de ses amis. C’est chez lui qu’ils se réunissaient, c’est à lui qu’ils confiaient leurs espérances et leurs projets ; il était l’ame, en un mot, de ce commerce charmant et délicat qui fit éclore tant d’esprits distingués ; il fut ensuite le lien commun qui les rapprocha dans l’absence, quand des fortunes diverses les forcèrent de se disperser et de choisir leurs chemins. Je ne veux pas contester à M. Sydney Smith l’honneur (et c’en est un assurément auquel il doit tenir) d’avoir le premier songé à créer