Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc sacrifiés au désir de montrer au monde combien, en signant le traité du 15 juillet, les puissances avaient été sérieuses, sincères, conséquentes. Il est inutile d’ajouter qu’heureuse de sa rentrée dans le concert européen, la France se garda bien de jeter un mot discordant au milieu de ce concert.

Je n’ai rien dit d’autres îles que la géographie et l’histoire semblent unir nécessairement à la Grèce, mais que la politique en a distraites. Ces îles sont les îles Ioniennes, dont l’aspect suffit pour apprendre à tous les peuples comment l’Angleterre comprend le mot de protectorat. Quand, dans un voyage en Orient, on va par Malte ; et qu’on revient par Corfou ; quand on voit ainsi la clé de la Méditerranée et celle de l’Adriatique placés entre les mains d’une puissance qui ne possédait ni l’une ni l’autre, il y a quarante ans ; quand on examine les ouvrages à l’aide desquels cette puissance a rendu plus formidables encore des positions déjà si fortes, on ne peut s’empêcher, si l’on n’est pas Anglais, de faire sur soi-même un retour douloureux. Quoi qu’il en soit, Corfou, comme Malte, appartient à l’Angleterre, qui ne s’en dessaisira pas, mais peut-être est-il moins impossible que, dans sa facile générosité, elle consente quelque jour à rendre a la Grèce Cérigo, Zante, Sainte-Maure, Ithaque, Céphalonie, possessions sans utilité pour elle, et qui compléteraient heureusement le territoire grec. La Grèce surtout, si l’Epire s’y trouvait comprise, n’en resterait pas moins sous le feu des batteries de Corfou.

La Grèce se développant librement et pacifiquement dans ses limites actuelles, la Grèce s’assimilant les provinces helléniques qui sont restées sous la domination musulmane, la Grèce devenant le noyau d’un grand empire gréco-slave, dont le siége serait à Constantinople : telles sont les trois solutions qui se présent à l’esprit, et qui se débattent à Athènes.

Eh bien ? de ces trois solutions, la première, en définitive, n’exclut pas la seconde, ni la seconde la troisième. Plus la Grèce actuelle saura se faire heureuse et libre, plus les provinces qui l’entourent, se sentiront attirées vers elle. Cette seconde phase accomplie, la troisième enfin, en supposant qu’elle soit possible, ne s’en accomplira elle-même que plus facilement. La conséquence, c’est que, sans renoncer à cette confiance dans leur avenir, à cette foi en eux-mêmes qui leur donne sur les Turcs une supériorité si marquée, les Grecs doivent surtout s’occuper de la Grèce actuelle et en tirer parti. Il est commode, pour excuser ses fautes, pour pallier ses échecs, de s’en prendre aux limites qu’on a reçues, et de dire qu’on ne peut vivre sans l’Épire,