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chrétiennes qui se soulèvent. Si l’Epire, si la Macédoine, si la Thessalie levaient aujourd’hui l’étendard de la révolte, nul doute que le divan ne s’empressât de livrer ces riches provinces aux Arnautes. Nul doute que ceux-ci ne s’y précipitassent avec fureur, et que, même vaincus, ils n’y laissassent d’horribles traces de leur passage.

Les patriotes grecs, au reste, ne désespèrent pas de réunir un jour dans un effort commun les Albanais de toute religion, chrétiens ou mahométans. Quand, après la conquête turque, la moitié de l’Albanie se fit mahométane, ce ne fut point par amour de l’islamisme, mais pour conserver ses propriétés. Il en résulta parmi les nouveaux convertis une grande indifférence religieuse, indifférence qui dure encore aujourd’hui. Ainsi, beaucoup de mariages ont lieu entre mahométans et chrétiens. A vrai dire, l’esprit militaire et l’amour du pillage, voilà la seule religion des Arnautes. Ils conservent au contraire un vif sentiment de leur nationalité, et une aversion profonde pour quiconque, veut la supprimer. Aussi l’Albanie a-t-elle été vaincue par les Turcs, jamais soumise. La langue turque n’y est même pas comprise, et les Turc y sont considérés par leurs frères en Mahomet comme des étrangers. On sait tout ce qu’on fait tantôt les pachas, tantôt le gouvernement turc, pour dompter l’indocilité albanaise, et l’on n’a oublié ni les massacres d’Ali-Pacha, ni ceux du visir Reschid en 1830. Malgré cela, les beys albanais avec les spahis bosniaques restent les moins obéissans de tous les sujets du divan. Pour résister aux Turcs, on les a vus plusieurs fois, notamment en 1833 et 1840 se coaliser avec les chrétiens, et déjà dans les districts de l’Albanie méridionale, à Janina, par exemple, beaucoup d’entre eux disent hautement que, si le nouvel état grec leur assurait leurs propriétés, ils ne demanderaient pas mieux que de passer à son service. Dans ce cas on assure même que quelques-uns n’hésiteraient pas à redevenir chrétiens. Il y a là une disposition précieuse, et que les patriotes grecs auraient grand tort de négliger.

Ainsi sur le continent deux mouvemens, l’un slave, dont la Servie, est le foyer ; l’autre hellénique, qui part d’Athènes et s’étend dans les provinces voisines. Reste à savoir si ces deux mouvemens peuvent s’unir, ou s’ils resteront à jamais séparés. Parmi les îles enfin, il en est une, l’île de Candie, qui évidemment n’attend que le moment de fraterniser avec la Grèce. Un jour, en 1841, elle put croire que de ce moment était venu ; mais l’indépendance et l’intégrité de l’empire venaient alors d’être trop récemment, trop solennellement proclamées pour que l’Europe permît qu’on fît brèche. Les pauvres Candiotes furent