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De ces trois politiques, la première, tout le monde le comprend, serait une politique de dupe. La seconde est tentante et populaire, mais elle a l’inconvénient grave d’armer contre nous non-seulement les gouvernemens, mais certains peuples dont l’amitié nous importe. Reste la troisième, qui est à la fois honnête, libérale, avouable ; c’est celle que la France, à mon sens, devrait adopter dès aujourd’hui ; c’est celle, dont la Grèce espère son agrandissement.

Mais ici se présente un problème fort difficile, celui de savoir quels sont entre des populations qui diffèrent par l’origine, par les souvenirs, par la langue, les rapprochemens possibles. Pour chercher la solution de ce problème, il convient d’abord de séparer la Turquie d’Europe de la Turquie d’Asie. Par suite d’évènemens qu’il est inutile de rappeler, c’est surtout la Turquie d’Asie qui a occupé l’Europe depuis quelques années. Aujourd’hui encore l’Égypte d’une part, la Syrie de l’autre, voilà ce qui fixe surtout notre attention. C’est tout au plus si nous savons que derrière Constantinople, de la mer Noire à l’Adriatique, il y a des contrées vastes et fertiles où les populations chrétiennes sont sept à huit fois plus nombreuses que la population musulmane. C’est à peine si nous nous intéressons au sort de ces populations, qui pourtant valent bien les Druses et les Maronites. L’an dernier, la question de Servie nous a, pour quelques jours, obligés à porter les yeux vers ces contrées ; mais nous avons pensé presque tous que c’était en définitive une petite question. C’était une très grande question au contraire, une question qui pouvait, qui devait avoir sur l’avenir de la Turquie d’Europe une énorme influence. On commence à s’en douter aujourd’hui. Il faut espérer que bientôt on s’étonnera de ne l’avoir pas su plus tôt.

Laissons donc la Turquie d’Asie, et ne parlons que des provinces européennes sur lesquelles la Turquie conserve sa souveraineté nominale ou réelle. Ces provinces sont, on le sait la Thrace (Roumélie), la Bulgarie, la Macédoine, la Thessalie, l’Épire et l’Albanie, la Bosnie, l’Hertzégovine, la Croatie, enfin la Servie, la Valachie et la Moldavie, dont, par les traités de Bucharest, d’Ackerman et d’Andrinople, la Russie s’est constituée protectrice. Sur 15 à 16,000,000 d’habitans que contiennent ces provinces, il y a seulement 1,000,000 de Turcs, auxquels il faut ajouter à peu près 1,500,000 Bulgares, Albanais et Bosniaques, qui jadis ont abjuré le christianisme. Il est bon d’ajouter que les Turcs sont pour la plupart rassemblés dans la Roumélie, autour de Constantinople.

Ainsi, d’un côté, 2,500,000 mahométans tout au plus, dont