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toute espèce d’action. On comprend peu que l’Autriche ait vu, sans s’émouvoir, la Russie s’emparer des bouches du Danube, ou que, cette faute commise, elle n’ait pas cherché à la réparer en favorisant de tout son pouvoir un projet de canal dont l’exécution est, dit-on assez facile. On comprend peu qu’en 1840 l’Autriche ait laissé, sans résistance, se former une coalition entre l’Angleterre et la Russie, et que cette coalition, si menaçante pour elle, ait même obtenu son concours. On comprend peu qu’en 1843, elle se soit abstenue de toute intervention, de toute opinion dans l’affaire de Servie, laissant ainsi la Russie prendre pied à ses portes mêmes. Si vieux pourtant que soit le ministre qui préside encore aux destinées de l’Autriche, on ne peut supposer, sans quelque motif secret, tant d’insouciance et d’inertie. Ce motif, c’est que l’édifice craque de toutes parts, et que la moindre secousse suffirait pour le renverser ? A Constantinople comme à Athènes, comme partout, l’Autriche n’a donc en ce moment qu’une politique, éviter toute collision, toute agitation, tout dérangement, et surtout ne pas se brouiller avec la Russie. Quant à ses vues ultérieures, on peut affirmer qu’elles sont à la merci des évènemens.

La Russie qui travaille à la chute de l’empire, l’Angleterre qui l’attend et s’y prépare, l’Autriche qui la craint et qui ferme les yeux, voilà les trois politiques. Faut-il maintenant que, comme l’Autriche, la France s’enferme dans la contemplation béate d’un statu quo impossible ? Faut-il qu’elle borne ses efforts à exercer par l’amour sur le divan l’influence que d’autres exercent par la crainte ? Faut-il qu’elle croie avoir assez fait quand elle a obtenu quelques légères réformes ? Faut-il enfin qu’elle se conduise de manière à être prise au dépourvu le jour où la crise éclatera ? Encore une fois, qu’on fasse vivre, si on le peut, l’empire ottoman en le dépouillant successivement de tout ce qui jadis a fait sa grandeur et sa force ; qu’on lui impose la civilisation moderne avec ses idées d’humanité, de liberté, de régularité ; qu’à défaut de l’égalité de droit, on introduise, même entre les races, une certaine égalité de fait : tout cela est bien ; mais qu’on ait l’esprit assez libre pour prévoir que tout cela peut avorter, et que la France alors aura un tout autre rôle à jouer. Ce rôle, quel sera-t-il ? Voilà ce qu’il faut bien savoir d’avance, sous peine d’échouer misérablement.

Il y a, ce me semble, pour la France, si l’empire ottoman tombe, trois politiques possibles : prendre sa part des dépouilles, souffrir que d’autres partagent l’empire et s’assurer une compensation sur le Rhin, remplacer l’empire par un ou plusieurs états indépendans et libres.