Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à 150,000 fr. seulement. Aux vieux impôts de la dîme et de la capitation, le gouvernement turc a pourtant joint déjà quelques impôts indirects, dont l’assiette et la perception soulèvent de violentes réclamation. Cela n’empêche pas qu’il n’ait dès aujourd’hui un déficit de 30 millions, déficit qui sera plus fort l’an prochain, si, comme c’est le projet du divan, l’armée est augmentée. Sans une réforme radicale dans les finances, les nouvelles institutions sont donc menacées de périr d’inanition. Or, cette réforme radicale, où en est l’idée, où en sont les élémens.

Je n’ai, je le déclare, aucun mauvais vouloir systématique contre la Turquie. Je conviens même que, si elle pouvait se reconstituer, se régénérer, en émancipant les rayahs, une grande question politique en serait singulièrement simplifiée ; mais, tant que le Koran sera la loi des lois, je doute que cette reconstitution, que cette régénération soient praticables. Plus j’y regarde, et plus je me trouve conduit à cette triste conclusion, que le progrès et le statu quosont également impossibles en Turquie. C’est un empire, puissant jadis, et où se conservent encore de remarquables qualités, mais qui ne peut plus, sans danger, ni avancer, ni reculer, ni rester en place. Quand un empire en est là, il est clair que ses jours sont comptés.

Maintenant je vais plus loin, et je suppose que je sois complètement dans l’erreur. Je suppose que la Turquie porte en elle-même le germe inconnu d’une régénération véritable. Je suppose, en outre, que les gouvernemens européens aient tous la pensée bien sincère, bien ferme, de faire durer l’empire et de le consolider ; tout cela admis, il reste contre la durée, contre la consolidation ; tout cela admis, il reste contre la durée, contre la consolidation de l’empire, une chance terrible et presque inévitable, celle d’une insurrection sérieuse dans quelques-unes des provinces chrétiennes. Quelle que soit la pensée des gouvernemens européens, je les défie, si la Bulgarie, la Macédoine, l’Epire, se soulevaient sérieusement, de prendre parti pour la domination musulmane. Je les défie, si la lutte se prolongeait, de ne pas intervenir en aidant, comme on l’a fait il y a vingt ans, les provinces insurgées. La politique, dans ses froids calculs, peut trouver bon qu’en Europe même une poignée de musulmans tienne sous le joug des populations chrétiennes sept à huit fois plus nombreuses ; mais derrière les calculs de la politique il y a le sentiment universel, derrière les gouvernemens il y a les peuples dont la voix, quand elle est haute et ferme, finit toujours par se faire écouter. C’est cette voix qui a affranchi la Grèce en 1827 ; c’est elle qui dans les mêmes circonstances affranchirait la Bulgarie, la Macédoine ou l’Epire.