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opposé. Il arrive que tout doucement, par degrés, on se laisse entraîner à croire et à dire qu’après tout la race turque est et doit rester la race commandante. Il arrive que l’on s’imagine avoir découvert une Turquie toute nouvelle, une Turquie qui ne ressemble en rien à celle que les vieux écrivains ont décrite et que rêve l’opinion commune.

Cependant que, sans préjugé, sans parti pris, sans amour du paradoxe, on aille au fond des choses. Assurément la nation turque a joué un grand rôle dans le monde ; la preuve, c’est que l’Europe a tremblé devant elle, et que depuis quatre cents ans les plus beaux pays du monde sont en sa possession. Mais ces pays, qu’en a-t-elle fait ? Sans doute ni l’Asie mineure, ni la Turquie européenne n’étaient avant la domination turque ce qu’elles avaient été jadis, et il est difficile de rappeler la civilisation aux lieux qu’elle a quittés Qui oserait dire pourtant que, sous cette domination, le mal n’ait pas augmenté ? Comment veut-on d’ailleurs que l’humanité, que la morale absolvent un gouvernement où le despotisme n’a jamais été contenu et limité que par la révolte et l’assassinat, une société où n’existent en réalité ni propriété ni famille, une religion qui consacre l’oppression du faible par le fort, qui sanctifie les plaisirs des sens, qui érige en loi se mêle à tout, qui domine tout, est un obstacle insurmontable au seul moyen par lequel en ce monde les conquêtes se légitiment et les empires se fondent, à la fusion, à l’égalisation de la race victorieuse, et de la race vaincue. On peut, à force de prières ou de menaces, arracher au divan, malgré les oulémas, quelques concessions en faveur des rayahs. Peut-on obtenir qu’il les mette au niveau des musulmans, et qu’il y ait une seule loi pour tous ? Ces rayahs cependant croissent chaque jour en force et en richesse. Dans les environs de Constantinople, on cite des villages où depuis vingt ans leur nombre a doublé, tandis que celui des Turcs diminuait de moitié. On en cite d’autres d’où les musulmans ont à peu près disparu. À Constantinople même, la ville sainte, le dernier recensement, à la grande surprise, à la grande consternation des fidèles, a donné 200,000 rayahs contre 250,000 musulmans. À Constantinople, il est vrai, les rayahs se partagent entre plusieurs fractions qui se détestent mutuellement plus qu’elles ne détestent les Turcs mais il n’est pas de même par tout l’empire, et il faudrait désespérer de l’humanité si les plus nombreux, les plus éclairés, les plus riches, les plus forts, devaient se résigner toujours l’obéissance et à l’humiliation.

À la vérité, depuis vingt ans, de grandes réformes ont eu lieu en