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dans le pays les capitaux étrangers. Or, il y a lieu de penser que, des provinces grecques soumises encore à la domination turque, les capitaux viendraient en abondance, si, sur le sol de la Grèce libre, ils pouvaient espérer sécurité et profit.

Quant au trésor public, pendant quelques années encore, il offrira peu de ressources. Au moment où les trois puissances garantirent l’emprunt de 60 millions, il était bien entendu qu’une portion de cet emprunt servirait à des améliorations productives. Au lieu de cela, des 60 millions, 4 à peu près ont été dépensés en frais de courtage, 12 pour racheter l’Acarnanie, tout le reste pour combler le déficit des budgets annuels. Aujourd’hui, sans en avoir profité le moins du monde, la Grèce se trouve donc chargée d’une dette de 60 millions, sans compter les 75 millions qu’elle a empruntés pendant la guerre, et les 50 millions qu’elle doit à ses propres sujets. Cependant les recettes ne peuvent guère dépasser 15 millions, et les dépenses, rigoureusement calculées, montent au moins à 12 millions, il reste donc, pour l’intérêt et l’amortissement de la dette, la somme très insuffisante de 3 millions. Si les trois puissances voulaient vraiment faire quelque chose pour la Grèce, peut-être consentiraient-elles à ajourner à des temps plus favorables le remboursement de leur créance ; mais dans ce pays, où il y a tant à faire, qu’est-ce qu’un surplus annuel de 2 à 3 millions ? En le supposant aussi bien employé que possible, ce surplus ne rendrait pas moins nécessaires les efforts individuels.

Un pays admirablement situé pour le commerce maritime, et dont le sol pourrait, sans effort, nourrir au moins 2 millions d’habitans une population intelligente, énergique, active : certes, ce sont là les élémens d’une vitalité réelle et puissante. Maintenant, est-il vrai, comme on se plaît à le dire, que les Grecs soient incapables de supporter des institutions libres ? Est-il vrai, qu’ils veuillent être conduits par une main vigoureuse, et qu’ils n’aient chance de salut que dans ce que l’on appelle « un despotisme éclairé ? » À cette assertion, il y a une première réponse, réponse péremptoire, ce me semble, c’est que la main vigoureuse est absente, et que le despotisme éclairé ne se trouve pas en Grèce plus qu’ailleurs. Assurément, de 1837 à 1843, ce despotisme a eu ses coudées franches. Épuisée par de longs combats fatiguée des dissensions civiles, effrayée de l’anarchie, la Grèce, sans s’inquiéter de la main qui donnait, était prête à recevoir avec joie, avec reconnaissance, toute amélioration, tout progrès, quelque faible qu’il fût. Or, pas une amélioration n’a été tentée, pas un progrès n’est