Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à la population, qui est à peu près de 850,000 habitans, dont 400,000 pour la Morée, 300,000 pour la Grèce continentale, et 150,000 pour les îles, en y comprenant Hydra, Spezia et Poros, on ne saurait dire qu’elle soit vraiment misérable. La preuve, c’est qu’en peu d’années, de 1830 à 1834, elle a pu, par ses propres ressources, réparer les désastres de la guerre, et rebâtir sur toute la surface du pays 60 à 80,000 maisons. La preuve encore, c’est que, malgré l’incapacité profonde de l’administration, le progrès naturel de la richesse a fait, de 1830 à 1843, remonter le revenu public de 3 millions à 15 millions de francs. En parcourant la Grèce, on est d’ailleurs frappé de rencontrer presque partout des habitations bien construites et bien couvertes, des hommes et des femmes d’une apparence saine et robuste. Il n’y a rien là qui, comme en Irlande, comme en Sicile, afflige et serre les cœurs. Si dans certaines parties de la Grèce, dans la Béotie, par exemple, on éprouve le regret de rencontrer d’excellentes terres sans culture et sans habitans, ailleurs, là où le sol est moins bon, il semble au contraire qu’on s’en dispute la moindre parcelle, et qu’on déploie, pour en tirer parti, tout ce que l’industrie humaine a de ressources. On peut en conclure, ce me semble, que si quelquefois les hommes manquent à la terre, ce n’est pas leur faute, et qu’ils cèdent à des causes indépendantes de leur volonté.

Ainsi, beaucoup de terres cultivables et non cultivées, puis, à côte de ces terres, une population robuste, active, point misérable, voilà la Grèce telle qu’elle m’est apparue. Comment se fait-il dès-lors que ses progrès soient si lents, et que sa population reste à peu près stationnaire ?

Il y a, je l’ai dit, peu de pauvres en Grèce ; mais il y a encore moins de riches. Il est facile de s’en convaincre, quand on voit tant de candidats se disputer avec acharnement des emplois dont le mieux rétribué, celui de gouverneur, donne un revenu de 3,000 francs. Avant la guerre de l’indépendance, le commerce avait créé, surtout dans les îles, quelques belles fortunes ; mais elles ont disparu presque toutes. Il est d’ailleurs connu que les parties les plus riches les plus industrieuses de la Grèce, sont précisément celles qu’on a laissées à la Turquie : l’Épire, la Thessalie, la Macédoine. Quant aux primats du Péloponèse ou de la Roumélie, c’est en général en aidant les Turcs a piller leurs compatriotes qu’ils se procuraient une existence commode, et cette ressource leur est aujourd’hui enlevée. Il est bon d’ajouter que l’état du pays n’est pas encore assez paisible, assez fixé pour que les capitaux étrangers soient fort tentés de venir remplacer les capitaux