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ont de plus tranché, les divers élémens dont se compose en Grèce la majorité nationale. En France, que nous appartenions à la gauche, au centre gauche ou au centre, nous avons tous même origine, mêmes habitudes, mêmes intérêts généraux. Ce sont seulement nos opinions qui diffèrent, et quand, dans la formation d’un cabinet, satisfaction est donnée aux opinions de la majorité, cela suffit parfaitement. En Grèce, il en est autrement, et l’on ne peut faire un pas sans s’en apercevoir. On ne peut faire un pas en effet sans rencontrer côte à côte deux espèces d’hommes qui semblent n’avoir entre elles rien de commun, l’une qui ressemble de tout point aux habitans de l’Europe occidentale, l’autre chez laquelle le caractère oriental est encore profondément empreint. Au congrès, dans les maisons particulières, dans les rues, partout ce contraste vous poursuit ; mais nulle part peut-être il n’est plus frappant que chez les deux chefs du parti national et constitutionnel. Allez voir le premier, et dans un modeste cabinet de travail vous trouvez assis à son bureau un homme d’une figure fine et spirituelle, mais que sa redingote noire et ses lunettes feraient prendre volontiers pour un membre de la chambre des députés ou de la chambre des communes. Entrez chez le second, et après avoir traversé une haie de palikares, les uns assis, les autres couchés le long de l’escalier, vous ouvrez la porte d’un salon ou le maître de la maison, assis sur un sopha, dans le riche costume albanais, donne audience à une vingtaine de vieux soldats rouméliotes, armés de pied en cap, et dont l’attitude grave et respectueuse indique assez la confiance qu’ils mettent dans leur chef.

Je demande pardon à MM. Maurocordato et Coletti de les saisir en déshabillé ; mais, à mon sens, il s’agit ici de toute autre chose que d’un contraste pittoresque. Il s’agit d’une différence dont une saine politique doit nécessairement tenir compte. Il y a en Grèce des Hellènes et des Albanais, il y a des autochtones et dès hétérochtones, il y a des Péloponésiens, des Rouméliotes, des insulaires, il y a des Russes, des Anglais, des Français ; mais, en outre de tous ces partis, il y a celui des habits noirs et celui des fustanelles. A mesure que le temps s’écoule, que la civilisation moderne se répand, que le gouvernement se régularise, le parti des fustanelles tend sans doute à diminuer, et l’on peut prévoir l’époque où il aura presque entièrement disparu. En attendant, il existe et se compose des hommes qui ont le plus énergiquement, le plus efficacement concouru à la délivrance de la Grèce. Il y aurait à vouloir les tenir en dehors du gouvernement autant d’imprudence que d’ingratitude.