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vinrent enfin apporter à l’insurrection une force nouvelle, mais aussi un nouvel élément de discorde et de division.

Pour mettre un peu de régularité dans cette anarchie, un peu d’ordre dans cette confusion, y avait-il au moins une autorité généralement reconnue, un homme dont la supériorité fût incontestable et incontestée ? En aucune façon. Ici les chefs des hétairistes, là les capitaines palikares, plus loin les primats du Péloponèse ou des îles, ailleurs les princes du Fanar et les comtes ioniens exerçaient l’influence principale, et quand ils se rencontraient, c’était en général pour se disputer le pouvoir par la force ou par la ruse. Ajoutez les philhellènes étrangers, dont les rivalités : nationales se manifestaient avec d’autant plus de vivacité quelles n’étaient pas contenues par la réserve diplomatique. En vérité ; si quelque chose peut surprendre, c’est qu’au milieu de tant de conflits et de déchiremens, la Grèce n’ait pas succombé.

Un mot pourtant sur chacune des catégories dont je viens de parler, catégories qui ne sont pas éteintes et dont les restes s’agitent encore aujourd’hui.

Il y a long-temps, on le sait, que la Grèce rêve son affranchissement. A la fin du dernier siècle, il se forma, pour y parvenir, une hétairie (association fraternelle), dont le poète Rhigas était le chef, et qui proclamait les principes de la révolution française. Cette hétairie succomba, et fut remplacée en 1806 par une seconde, qui, fondant son espoir sur Napoléon, n’aspirait à rien moins qu’à reconstruire l’empire grec. Par malheur un tel projet n’entrait point dans les vues de Napoléon, et cette seconde hétairie eut le même sort que la première. Mais l’esprit grec est persévérant, et de 1813 à 1814 il créa à Vienne, sous le patronage russe, une société nouvelle dite des Philomuses, qui n’avait en apparence d’autre objet que le culte des lettres et des arts. Capo-d’Istrias et Alexandre Ipsilanti étaient les chefs de cette société, qui, en 1815, devint politique et s’appela Société des Amis. Une seconde société des amis, plus politique encore, fut bientôt après organisée par des Grecs obscurs et secrètement favorisée par la Russie, qui parvint à s’en emparer. C’est au moyen de cette dernière société qu’en 1821 le prince Alexandre Ipsilanti, d’accord avec l’hospodar Michel Soutzo, leva l’étendard de la révolte à Jassy. On sait qu’Alexandre Ipsilanti, désavoué par la Russie et trahi par une partie de ses amis, tomba au pouvoir de l’Autriche, qui ui fit expier durement dans ses prisons le crime de n’avoir pas réussi.

Quoi qu’il en soit, le signal fut entendu, l’insurrection se propagea,