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était-il permis de se demander si le peuple qui supportait un tel gouvernement méritait bien l’appui qu’il avait reçu ; peut-être était-il permis de rechercher si, en définitive, Munich valait mieux pour lui que Constantinople. Il faut ajouter que, pendant les dix années qui suivirent la révolution de juillet, la France fut trop absorbée par ses propres affaires pour songer à celles des autres. Or la Grèce, entre les mains des Bavarois, n’exerçait et ne pouvait exercer sur la politique européenne aucune espèce d’influence. La France n’eut donc guère à s’occuper de la monarchie nouvelle que pour solder ses fautes, en votant successivement les trois séries de l’emprunt. Il n’y avait rien là qui fût de nature à ranimer, en faveur de la Grèce, les anciennes sympathies.

Cependant, depuis un an, tout a changé de nouveau, et il a suffi d’une journée pour que la Grèce, long-temps oubliée ou dédaignée, reprît sa place dans les combinaisons de la politique comme dans les préoccupations populaires. Au moment où elle paraissait plus assoupie, plus asservie que jamais, la Grèce, en effet, s’est levée toute entière pour la liberté, comme vingt ans auparavant pour l’indépendance, et en peu de jours, sans désordres, sans violences, sans réactions, un gouvernement représentatif de plus est né, une monarchie constitutionnelle a été fondée. Il y avait dans un tel spectacle quelque chose d’inattendu et de grand qui, en France surtout, ne pouvait être méconnu. Aussi, malgré de sinistres prophéties, la France regarde-t-elle avec intérêt, avec espoir, les nobles efforts des patriotes grecs pour donner à leur pays des institutions libres et un gouvernement régulier. Que la tâche soit laborieuse et périlleuse, personne n’en doute : quelle grande chose ici-bas s’est jamais faite sans labeur et sans péril ? Quoi qu’il en soit, c’est une grave question que celle de savoir si la Grèce réussira dans cette œuvre comme dans l’autre, et si dès aujourd’hui la monarchie constitutionnelle a conquis un avant-poste en Orient. Le moment me paraît donc bon pour étudier l’état actuel de la Grèce et pour envisager les chances que lui réserve l’avenir. Dans le trop court séjour que j’ai fait récemment à Athènes et à Constantinople, j’ai, au sein de tous les partis, chez tous les hommes politiques, français ou étrangers, trouvé une égale bienveillance ; mais, sans manquer aux égards que je dois à aucun d’eux, il doit m’être permis de dire ici ce que je pense de leur conduite et de leurs vues politiques. Je tâcherai de le faire non certes avec indifférence, mais avec impartialité, et sans me laisser entraîner par mes désirs ou par mes affections.