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Il en serait autrement si ces créations nobiliaires prenaient un caractère sérieux en devenant la récompense des grands services. Un homme qui a illustré son pays, et qui reçoit de lui des titres de noblesse, ne les prend pas pour un hochet destiné à satisfaire sa vanité ; il veut que ces titres perpétuent sa gloire, et il est juste qu’on lui accorde les moyens d’assurer cette perpétuité. Nos lois actuelles vous le défendent ; nos mœurs s’y opposent : réformerez-vous nos mœurs et nos lois ? Dieu merci, nous n’en sommes point là. Plusieurs ambitions s’éveillent, dit-on, en ce moment ; le nouveau titre du maréchal Bugeaud fait des jaloux. Cette fièvre se calmera ; le ministère aura sans doute le bon sens de résister à des sollicitations dangereuses. Nous ne verrons pas de si tôt une restauration du privilège. Nous garderons les débris de notre vieille noblesse de l’ancien régime, que nous honorons dans quelques-uns de ses représentans, esprits distingués, citoyens illustres, affranchis de tous les préjugés d’un autre âge, et partisans sincères des idées nouvelles. Nous garderons notre noblesse de l’empire, dont les noms seront long-temps populaires dans le pays ; enfin, nous garderons encore, si l’on peut, la petite noblesse clandestine et mystérieuse de la révolution de juillet : c’est bien assez comme cela.

Naturellement, on a dû chercher à savoir comment la création d’un duc a été adoptée dans le conseil. Il paraît que la majorité s’est d’abord prononcée contre la mesure. La minorité a obtenu qu’on fît t une offre au maréchal. Celui-ci, pensant que la proposition avait réuni toutes les voix dans le conseil, a accepté. . Guizot passe pour avoir pris une part très grande dans cette affaire. Quels sont les intérêts qui l’ont poussé ? Hélas ! les plus grands hommes ont leurs faiblesses. Il fut un temps où M. Guizot était le défenseur des classes moyennes. Il voulait la libre concurrence des forces individuelles. Il repoussait les supériorités factices et mensongères. Il détestait le privilège ; il adorait l’égalité. C’était l’homme de la bourgeoisie ; c’était l’ennemi des titres et des distinctions nobiliaires. Alors il était dans l’opposition ; c’était en 1821. Depuis, ses sentimens ont bien changé : nous disons ses sentimens, et non pas son langage, car si vous parlez à M. Guizot d’égalité et de privilège, il vous dira ! es mêmes paroles qu’en 1821 ; mais qu’il s’agisse de créer un duc, il sera le premier à y souscrire. Le titre de duc paraît, depuis plusieurs années, exercer un certain prestige sur son esprit. On racontait ces jours de derniers qu’en 1835, se trouvant aux Tuileries avec M. Thiers, il avait dit en se tournant vers son collègue du 11 octobre : « Lorsque M. Thiers et moi prendrons un titre, ce sera celui de duc. » L’anecdote est vraie. Elle peint d’un trait M le ministre des affaires étrangères. Depuis 1835, les velléités aristocratiques de M. Guizot ont été exposées à diverses épreuves. Dans son ambassade de Londres, il a vécu au milieu de cette grande aristocratie britannique, au niveau de laquelle il se trouvait placé par l’éclat de son rang politique ; mais il n’était pas duc. L’ancien professeur à la Sorbonne, le publiciste, l’homme austère des derniers jours de la restauration déployait dans son ambassade