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peuples s’ébranlent, s’agitent, s’emportent l’un contre l’autre, et parlent d’en venir aux mains !

La paix, cette bienfaitrice de notre siècle, a été mise pendant deux mois dans la balance avec M. Pritchard, et l’on nous dit que sans nos concessions la paix eût été trop légère ! On prétendra peut-être que la dernière crise a été un incident fortuit, que rien ne rattacha au passé : ce serait une erreur. Depuis le système de l’entente cordiale, il n’y a pas eu un seul jour où les rapports des deux pays aient été parfaitement calmes. Une inquiétude réciproque les agite sans cesse. Ils sont l’un vis-à-vis de l’autre dans un état d’observation perpétuelle. Les causes les plus futiles semblent au moment de produire des explosions. Si vous demandez au ministère les motifs de ces ombrages et de ces malentendus, il vous répondra que c’est la faute des peuples, non de leurs gouvernemens. Oui, les deux peuples sont naturellement rivaux ; mais qui a donc attisé le feu de leurs rivalités au lieu de cherche à l’éteindre ? Qui a jeté en Angleterre de vives alarmes sur les projets d’un prétendu parti de la guerre, à la tête duquel on a inscrit les noms les plus considérables de la France ? Qui a imaginé, pour tranquilliser les intérêts anglais, de les froisser gratuitement dans des entreprises stériles, où nous n’avons recueilli que des humiliations et peut-être aujourd’hui des revers ! Qui a conçu l’idée de présenter comme un admirable système politique une situation où deux grands peuples, pleins de vie et de mouvement, merveilleusement doués pour le progrès, passeraient leur temps à débattre des questions mesquines doués pour le progrès, passeraient leur temps à débattre des questions mesquines, nées de leur combat journalier sur divers points du globe, à vider leurs procès, et à s’examiner mutuellement comme deux voisins jaloux dont la seule affaire est de surveiller leur patrimoine ? Voilà une œuvre vraiment digne d’occuper deux grandes nations ! Cette œuvre, que le cabinet de l’Angleterre n’a pas prise au sérieux contre le nôtre, a été depuis quatre ans l’objet des préoccupations exclusives de M. Guizot. Il a parlé, il a agi, il a administré, les yeux perpétuellement fixés sur l’Angleterre, non pas, malheureusement, pour épier toujours ses démarches, mais pour prévenir des froissemens, ou apaiser ceux que sa politique imprudente a fait naître. Pendant ce temps, que de choses utiles ont été négligées ! Où en sont nos rapports avec le continent ? Qu’est devenue la question belge ? Que faisons-nous en Orient où une décision récente des puissances médiatrices prouve que notre protectorat traditionnel s’efface de plus en plus ? Cette question de l’isthme de Suez, que la presse ministérielle discute avec un dédain affecté, sommes-nous bien sûr qu’elle ne soit pas au moment de recevoir dans l’ombre une solution qui atteindra gravement nos intérêts ? Voilà le système de l’entente cordiale ! des préventions mutuelles excitées par des rapports jaloux et égoïstes, où les deux nations se rapetissent au lieu de s’élever ; des idées de guerre semées sous le manteau d’une paix factice ; de graves malentendus propagés entre les deux pays par les calculs étroits et personnels de leurs gouvernemens ; une intimité qui a suffi à peine jusqu’ici pour empêcher que les deux