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qu’une guerre a été imminente. Il faut s’attendre à cet argument préparé sans doute pour justifier les conditions de la paix. La polémique de certaines feuilles ministérielles nous fait déjà pressentir ce résultat. Quand on cherche à nous prouver que la France n’est pas en mesure de faire la guerre, on veut nous faire comprendre qu’il a fallu acheter la paix, et c’est dans le même but qu’on nous développe, d’un autre côté, ce bel axiome : que la paix est préférable à la guerre.

Quoi qu’il en soit, nous ne voyons pas pourquoi la discussion serait interdite en ce moment sur la politique du cabinet. Nous n’avons pas besoin des dépêches de M. de Jarnac pour la juger au moins sommairement. Il y a déjà dans ce débat si grave des bases certaines sur lesquelles on peut s’appuyer. En effet, supposons que le sens de ces dépêches soit inconnu : de deux choses l’une, ou elles tendent à prouver que la paix entre l’Angleterre et la France n’a pas été menacée, ou elles tendent à prouver le contraire. Dans le premier cas, si la paix n’a pas été menacée, les conditions de l’arrangement de Taïtï méritent un jugement sévère. Quoi ! vous étiez parfaitement libres, la situation ne vous offrait aucun péril, l’Ang1eterre discutait avec vous sans passion, et vous lui avez sacrifié le bon droit et la justice, qui étaient du côté de la France. Vous avez blâmé M. d’Aubigny, qui a fait son devoir, et vous avez accordé une indemnité à M. Pritchard, tandis que c’est M. Pritchard qui doit une indemnité à la France ! M. Pritchard sera indemnisé pour le dommage qu’a pu lui causer son expulsion, l’emprisonnement de cet agent factieux et incendiaire sera l’objet d’un blâme direct dans la personne de M. d’Aubigny, et son expulsion, très juste et très nécessaire, sera l’objet d’une excuse formelle, puisqu’elle donne lieu à une réparation pécuniaire ! Voilà, dans la question de Taïti, ce que vous avez accordé à l’Angleterre sans raison grave ; sans nécessité d’un ordre supérieur, sans autre motif apparent qu’une complaisance maladroite et inutile ! Voyons maintenant pour la question du Maroc. Ne parlons plus des instructions communiquées à sir Robert Peel ni de la lenteur des premières opérations, ni des entraves imposées à la flotte et à l’armée, difficultés graves que M. le prince de Joinville et le maréchal Bugeaud ont heureusement surmontées. Ne parlons pas non plus de cet engagement préalable que vous avez pris de ne pas occuper un pouce du territoire de Maroc, engagement d’une générosité bien imprudente, s’il a été spontané. Allons plus loin. Vous remportez de grands succès, vous jetez la terreur dans le Maroc, vous forcez l’empereur à vous demander la paix, et quelles conditions lui dictez-vous ? Ie mêmes que vous lui avez offertes au début de la guerre, avant vos victoires, vos sacrifices, et les trahisons répétées de votre ennemi. A quoi bon cette grandeur d’ame et ce désintéressement dont la France paie les frais ? Vous savez que l’empereur du Maroc est sans pouvoir dans ses états, vous l’avez dit à la tribune, et vous exigez de lui qu’il interne Abd-el-Kader ? Puisque vous supposez qu’il pourrait le prendre, pourquoi n’avoir pas exigé que le véritable otage de la paix