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Soyons justes, si nous pouvons, les uns envers les autres. Si M. Guizot ne l’a pas toujours été, ce n’est pas une raison pour suivre contre lui le déplorable exemple qu’il a donné. Nous l’avons vu, il y a cinq ans, déserter son parti dans un intérêt de pouvoir, descendre dans l’opposition, non pour la gouverner, mais pour se mettre à sa suite ; jouer le rôle d’un tribun, se faire une arme des préjugés et des haines qu’il avait cent fois combattus, sacrifier momentanément sa cause, son drapeau, ses principes, à une ambition impatiente. Le moyen lui a réussi. Une seconde désertion l’a replacé au pouvoir, et le parti conservateur lui a rendu son appui en lui refusant son estime. Voilà un succès qui peut tenter les ambitieux. Cependant il n’a tenté personne jusqu’ici, et M. Guizot a pu jouir tranquillement de son impunité depuis quatre ans. Disons mieux il a été l’objet d’une faveur toute particulière. Avant lui, tout ministère en désaccord avec la majorité avait quitté volontairement ou forcément le pouvoir. Il était réservé à M. Guizot et à ses collègues du 29 octobre de conserver leurs portefeuilles en suivant un système blâmé plus d’une fois par la majorité, mais sur lequel elle a évité de se prononcer nettement toutes les fois que la question du cabinet a été posée devant elle. Il est probable que ces ménagemens cesseront lorsque les chambres auront à juger les derniers résultats de cette politique, dont elles ont si souvent prévu les difficultés et les périls. Elles comprendront que l’intérêt du pays se refuse à de nouvelles expériences de cette nature. Quoi qu’il en soit nous ne chercherons pas plus aujourd’hui que par le passé à aggraver la position de M. le ministre des affaires étrangères. En montrant le mal, nous tiendrons compte du bien. Nous dirons par exemple un fait qui honore M. Guizot. Lorsque les négociations étaient pendantes sur l’affaire de Taïti, plusieurs de ses amis lui ont donné le conseil de se retirer pour éviter la responsabilité d’une conclusion, et pour se faire en dehors du pouvoir une situation nouvelle M. Guizot est resté ; il a bien fait. Il a compris ses devoirs nous pourrions dire aussi qu’il a compris ses intérêts, car, en se retirant dans une pareille circonstance, il eût commis une faute dont il ne se serait jamais relevé.

S’il faut en croire le langage mystérieux de certains amis du cabinet, toute discussion sur les affaires de Taïti et du Maroc serait prématurée en ce moment, et tout jugement serait hasardé, par la raison qu’aucun document officiel n’a été publié. On leur dit : Mais que signifient donc les assertions de la presse ministérielle ? Ne sont-elles pas l’écho des confidences de M. Guizot ? Ne savons-nous pas quelles sont les conditions de l’arrangement de Taïti. Les clauses principales du traite du Maroc ne sont-elles pas connues ? Cela est vrai, disent-ils, les conclusions sont connues, mais le commentaire ne l’est pas. Or, le commentaire, c’est la correspondance diplomatique que M. Guizot réserve pour les chambres. Il n’est pas difficile de préjuger dès à présent d’où vient cet espoir que M. Guizot paraît fonder sur la publicité future des négociations suivies avec le cabinet anglais. Sa correspondance nous apprendra sans doute que la situation a été critique,