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contre l’Angleterre ne mettrait pas aujourd’hui toute l’Europe contre la France. Voilà ce que nous pensons, et nous croyons que le ministère pense de même. Nous sommes persuadés qu’au fond il est plein de confiance dans les forces militaires du pays ; mais dirons-nous pour cela qu’il est coupable de n’avoir pas préféré la guerre à l’arrangement de Taïti ? dirons-nous qu’il a trahi la France ? Nullement. Ce n’est point là le reproche que nous lui adressons. S’il faut dire toute notre pensée, nous avons peu de goût pour ces accusations injustes, dont le seul effet est de montrer la violence des partis et de fausser les situations politiques. Si d’une part nous trouvons que le ministère calomnie l’opposition constitutionnelle, en disant qu’elle veut la guerre, nous croyons que d’un autre côté l’on n’est pas plus juste envers le ministère en disant de lui qu’il veut la paix à tout prix. Parti de la guerre, parti de la paix à tout prix, exagérations que tout cela, injures gratuites, sous lesquelles les spectateurs désintéressés des luttes politiques ne peuvent plus discerner le vrai et le juste ; déplorable combat, devant lequel l’opinion hésite, et qui a toujours pour résultat de retarder le triomphe des vrais intérêts du pays. Nous sommes certainement à notre aise en parlant de M. Guizot. Nous croyons jusqu’ici avoir jugé librement sa politique. Néanmoins nous ne dirons pas de lui dans cette circonstance qu’il a trahi la France. M. le ministre des affaires étrangères est vulnérable sur bien des points. Les débuts de sa carrière politique ont laissé de fâcheux souvenirs. L’amour du pays n’a pas toujours été sa passion la plus vive. Il aime particulièrement les éloges de la presse anglaise. Ses confidens le savent, et leurs communications officieuses avec certaines feuilles de Londres lui procurent trop souvent le plaisir de respirer l’encens britannique. Les complimens que lord Aberdeen et sir Robert Peel lui ont adressés plus d’une fois du haut de la tribune anglaise, un mot gracieux que lui a dit la reine Victoria lors de son voyage en France, lui ont causé les plus douces émotions qu’il ait peut-être ressenties de sa vie. Telle est sa nature, et l’on ne peut nier qu’elle présente des côtés regrettables chez un ministre de France. Ce n’est point là le caractère des hommes qui ont gouverné si glorieusement les destinées de la Grande-Bretagne depuis soixante ans. Quoi de plus anglais qu’un Chatam, un Pitt, un Canning ! La France a excité plus d’une fois des sympathies en Angleterre ; elle y a trouvé des partisans sincères depuis la révolution de juillet ; plusieurs sont entrés au pouvoir : a-t-on jamais pu dire qu’ils aient montré à l’égard de la France ce penchant indiscret que M. Guizot témoigne si visiblement du côté de l’Angleterre ? À ce tort grave il en joint un autre, c’est d’affecter un froid dédain pour les susceptibilités que font naître dans le pays ces tendances trop britanniques, rapprochées de certains souvenirs impopulaires qui appartiennent à une autre époque de sa vie. Ces susceptibilités sont respectables ; c’est une maladresse de les avoir froissées. Voilà bien des torts sans doute ; mais tout cela ne fait pas, selon nous, que M. Guizot puisse être accusé de trahison pour le dénouement qu’il a donné au différend de Taïti et à la guerre du Maroc.