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de Mozart l’un des chefs-d’œuvre de l’esprit humain, et cependant quoi de plus distinct que ces deux pièces, bien autrement éloignées l’une de l’autre que votre Otello ne l’est du More de Venise ! car vous avez, vous, votre troisième acte jeté là comme un pont sublime entre le vieux Will et vous, ce troisième acte où, malgré qu’on en dise, vous avez été shakespearien, et dans la plus puissante et la plus noble acception du mot, sans vous en douter, comme il faut l’être.

Je passe volontiers condamnation sur vos personnages, pourvu, qu’on m’accorde que Desdemona, telle que vous l’avez conçue, est une des plus idéales créations que la lyre ait jamais évoquées. Votre Otello a pour lui son entrée dans le finale, sa grande phrase si pathétique dans le duo du second acte, et ses récitatifs du troisième ; mais c’est là tout. Enlevez au rôle ces trois ou quatre éclairs, et vous allez, ne vous en déplaise, le voir rentrer soudain dans cette catégorie de Turcs à cavatines et à vestes brodées si chère de tout temps aux ténors italiens. Aussi, comme cet excellent Rubini l’avait compris, ce rôle ! Remarquez, cher maître, que je ne parle point ici seulement de l’exécution musicale ; quelle musique Rubini n’eût comprise ? j’entends toute la partie du costume et de la mise en scène. Comme il était dans le vrai avec sa large ceinture de cachemire, son vaste pantalon rouge tombant à plis flottans sur ses bottes jaunes, son sabre recourbé et son turban blanc ! A la bonne heure ! c’était là du moins un Otello d’opéra italien, et, soyons francs, l’Otello tel que vous l’aviez entrevu dans l’orientalisme napolitain de vos vingt ans. Maintenant, que dirait Rubini s’il voyait l’accoutrement grotesque dont l’Opéra vient d’affubler son personnage ? Non, jamais singe de la foire ne parut attifé de la sorte. Figurez-vous une espèce de robe de chambre brochée d’or, sur laquelle (sans doute pour faciliter les mouvemens du chanteur dans un rôle si dramatique et si emporté) pend encore un ample burnous de couleur claire. A quoi songeait donc M. Duprez en se laissant équiper ainsi ? De pareils oripeaux peuvent être bons dans la Juive ; mais l’0tello de Rossini se joue et surtout se chante plus lestement. Bien entendu que le vertueux père de Desdemone n’a jamais représenté à vos yeux autre chose qu’une partie de basse qui, sans lui eût manqué à vos deux finales. Après cela, que le digne homme s appelât Elmiro ou Brabantio, une fois sa réplique donnée, l’affaire, j’imagine, vous importait assez peu. Quant à Iago, vous ne le soupçonniez même pas, et cela devait être ; quand vous auriez su par cœur, à cette époque, le chef-d’œuvre de Shakspeare, dites, cher maître,