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de feuilletons et de réclames on prend volontiers trop fréquemment pour la scène elle-même.

Ne vous est-il jamais arrivé, étant enfant, lorsqu’on vous conduisait au spectacle, de prendre le rideau pour la pièce, et de prodiguer sans réserve toute votre admiration à quelque scène plus ou moins allégorique peinte à la détrempe sur la toile, par le Cicéri de l’endroit ? Quant à moi, la première fois que je mis le pied dans le temple des muses de ma province, j’avoue que j’eus la naïveté de donner en plein dans l’illusion dont je parle. J’avais devant les yeux un magnifique péristyle à colonnades grecques où s’élevait un autel de marbre et d’or sur lequel des prêtres sacrifiaient au divin Apollon. L’encens surtout, qui semblait fumer pour le dieu, en montant en épaisses bouffées vers le lustre, préoccupait mon imagination. Je ne pensais pas qu’on pût demander d’autres sensations aux jeux de la scène, et mon étonnement fut immense lorsque la musique commença, et que je vis colonnades et péristyle, autel et sacrificateurs s’enrouler d’eux-mêmes et disparaître pour faire place à tout un nouveau monde. Le rideau qui nous cache toute chose aujourd’hui, c’est la publicité, la presse, le mensonge ; et que de fois il nous arrive encore d’être ses dupes et de nous laisser prendre à sa prétendue vérité ! Singulier rideau en effet avec ses couleurs d’arlequin, ses arabesques tourmentées, ses monstres à tête de singe et à queue de poisson ; que sais-je ? ses soleils et ses étoiles de papier doré. Au milieu se dresse une sorte de géante décharnée, hideuse à voir, et qui s’exténue à souffler dans une trompette de bois. C’est la Renommée du XIXe siècle. Hécate de carrefour, prostituée de la publicité, son front aspire au firmament, et ses pieds traînent dans la boue. Il va sans dire que de ce qui se passe honnêtement derrière, le rideau n’en laisse rien transpirer impunément. Toute notion s’y transforme ou s’y altère ; la vertu y devient vanité, le génie prétention, et il suffit du caprice d’un bateleur de la foire pour venir mettre en doute ce qui est immortel. Mais où vais-je moi-même et quelle idée me prend de vous entretenir des misères du temps, comme si vous ne les connaissiez pas ? N’importe ; pourtant de moquerie et de dédains que vous lui prodiguiez, le feuilleton vous réservait cette fois un tour de son métier. Vous n’imagineriez jamais, cher maître, quel texte il lui a pris fantaisie de donner à sa critique à propos de cette malencontreuse mise en scène de votre chef-d’œuvre à l’Académie royale de Musique. Non, je vous le donne en mille, et si d’aventure cette humeur noire, que nous vous avons trop souvent connue à Paris vous tenait à cette heure, il y