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justement célèbre. On comprendra que si je me prive de citer d’autres noms, c’est pour ne pas m’exposer à des omissions blessantes, quoi qu’involontaires.

La tradition qui remonte à Baron, l’influence successive des artistes dont je viens de caractériser le talent, avaient déterminé le style de la grande déclamation tragique, art particulier à la France, approprié au sentiment élevé de nos chefs-d’œuvre dramatiques ; art très défavorable, je l’avoue, la médiocrité, mais noble, mais fécond dans sa simplicité, mais supérieur à tous les autres systèmes d’exécution théâtrale, quand c’est le génie qui interprète le génie. La tendance à idéaliser le vrai régna jusqu’aux premiers temps de la révolution avec tant d’autorité, qu’elle semblait un effet instinctif du goût national. « L’art de la déclamation, disait plus tard La Harpe, n’était pas encore détruit par le système le plus faux que la médiocrité et l’impuissance aient pu substituer au talent. On ne croyait pas alors qu’il fallut débiter des vers enchanteurs comme la prose la plus commune ; que l’expression, pour être vraie, dût toujours être violente. »

L’indignation de La Harpe était peu clairvoyante. Disciple fervent de l’école idéaliste, il ne s’élevait pas assez, haut dans sa critique pour distinguer le double domaine dont se compose l’empire des arts. Pendant la révolution, une époque où le grand mot de nature était dans toutes les bouches, le naturalisme, appliqué à la déclamation, commençait à avoir beaucoup d’adeptes. Depuis long-temps déjà cette doctrine avait eu ses théoriciens. Diderot et Mercier, Lessing et Engel, méconnaissant le caractère idéal de l’ancien théâtre qui justifie la distinction des pièces en tragédie et en comédie, déclarant que la scène doit être un écho passif des agitations de la vie humaine, avaient réduit l’éducation de l’acteur à une simple analyse du cœur humain, et la pratique de la scène à une copie exacte de la nature. Il ne résulta d’abord de cette prédication qu’un genre de sensiblerie ennuyeuse empruntée à l’Allemagne. Sous la restauration, la théorie de Diderot et de Lessing, fécondée par l’étude de Shakspeare et de Shiller, par le sentiment du pittoresque emprunté à Walter Scott, est devenue, comme chacun sait, le symbole de notre école romantique. Je m’empresse de reconnaître hautement que le romantisme, appelé à refléter la réalité, nous présente un des deux aspects éternels de l’art, que sa légitimité est consacrée chez nous par de très beaux ouvrages, que son triomphe a réagi d’une façon utile contre cet idéal bâtard et monotone qui régnait dans certaines écoles de l’empire. Je n’ai d’autre