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Lekain, travailleur infatigable, reprit alors chacun de ses rôles pour les agrandir, pour les meubler des plus riches effets. Il accordait aux préparations muettes une importance peut-être exagérée, s’il est vrai qu’on l’a vu employer jusqu’à six minutes à dire quatre vers. Ce qu’il préparait, au surplus, ce n’étaient pas seulement les coups de théâtre ménagés par le poète, mais les éclats de la passion qui s’amoncelait dans son sein. Par exemple, lorsqu’après avoir dit, sous les traits d’Orosdame : « Je ne suis point jaloux, » il ajoutait : « Si je l’étais jamais !… » il manifestait à ces derniers mots des remuemens intérieurs si profonds, si douloureux, qu’il n’était plus possible d’attendre son épouvante l’explosion de sa jalousie. C’était par cette ampleur d’exécution qu’il emplissait toujours le cadre de la scène.

Les souvenirs de Baron et de Lecouvreur, les exemples de Lekain, de Dumesnil et de Clairon, formèrent cette grande école tragique qui se soutint avec éclat jusqu’aux premiers temps de la révolution. Il serait trop long de citer tous ceux qui eurent, sinon le génie de leur emploi, au moins cet ensemble de qualités essentielles qui constituent le vrai talent.

L’art de l’acteur comique subit dans son développement les mêmes phases que celui du tragédien, c’est-à-dire que vers le milieu du siècle, sans répudier l’entrain et la jovialité naïve de la première période, on s’éleva jusqu’à la pensée philosophique dans l’étude des rôles, et dans l’exécution, jusqu’à ce naturel élégant et châtié qui touche à l’idéal. Il y a peut-être quelque témérité de ma part à avancer que des comédies mises en scène par des auteurs qui étaient du métier, comme Molière, Poisson, Hauteroche, Baron, Dancourt, Legrand, n’ont pas été dès l’origine jouées d’une manière pleinement satisfaisante, je crois entrevoir à travers le prestige des anciennes renommées, que pendant cette première période la verve comique dégénérait trop souvent en bouffonnerie, sinon, en charges grossières. Quant aux rôles posés de la haute comédie, ils étaient remplis par les tragédiens, c’est-à-dire qu’on se contentait, pour les caractères élégans ou sérieux, de la froide correction du siècle que la comédie agrandit le style de son exécution. L’honneur de ce progrès doit revenir surtout à Préville, comédien par excellence, fin, leste, incisif, naturel sans trivialité, d’une gaieté franche sans grossièreté doué surtout d’une puissance transformation qui étonnait Garrick, le protée de l’Angleterre. Sa promptitude d’intelligence lui permit d’aborder avec succès tous les emplois de la comédie, depuis