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prononciation, de dignité dans leur maintien, de décence dans leur démarche. Il suffit qu’ils fassent parade d’une morgue, bien noire et bien sombre, ou qu’ils paraissent livrés à des transports qui les fassent extravaguer. »

L’école littéraire dont les critiques du Spectateur furent les organes détermina une réaction. S’ils ne parvinrent pas à implanter en Angleterre la tragédie classique telle qu’on l’avait comprise sous Louis XIV, ils contribuèrent du moins à corriger par la sévérité de la poétique française, les écarts choquans du goût britannique. Cette influence fut particulièrement remarquable en ce qui concerne l’art de la scène. On revient avec amour à Shakspeare. Toutefois le respect n’empêcha pas qu’on ne retranchât dans l’exécution de ses pièces tout ce qui pouvait prêter à des excentricités ou à des effets de mauvais aloi. La période qui commence à l’ouverture de Covent-Garden, en 1733, pour se prolonger jusqu’à l’invasion de la sentimentalité allemande, vers la fin du siècle fut pour l’Angleterre, comme pour la France, celle des grands comédiens. A côté de Garrick, brillaient assez pour éclipser par instans leur émule, Quin, l’inimitable Falstaff, Barry, l’élégant et tendre Roméo, l’inépuisable Maklin, et parmi les femmes mistress Cibber, la ravissante Juliette, mistress Pritchard, Bellamy, Siddons, talens variés et féconds, atteignant moins souvent le grandiose que les artistes français de la même période, mais plus près de la vérité dans la personnification des caractères. L’émulation qui régnait alors dans les coulisses devint si vive, qu’elle se communiqua à toutes les classes de la société, et en 1751 on vit les plus grands seigneurs de l’Angleterre louer la salle de Drury-Lane pour y représenter une tragédie de Shakspeare. La décadense se manifesta, comme chez nous dès la fin du dernier siècle, par le succès du drame larmoyant, qui dégénéra en mélodrame, et par de petits opéras qui dégénérèrent en espèces de vaudevilles. Shakspeare a encore rencontré quelques interprètes assez éloquens pour le faire tolérer par le public ; mais en général la décadence de l’art théâtral est si profonde, que les meilleurs juges la déclarent irrémédiable.

Peu de mots suffiront pour esquisser l’histoire de la scène allemande. Après les mystères vinrent les réminiscences du drame antique, les pièces latines composées et jouées dans les universités protestantes. Le défaut d’unité dans le monde germanique fut long-temps un obstacle à l’établissement d’un théâtre national et populaire. Jusqu’à la fin du dernier siècle, il y eut peu d’états allemands qui possédassent des troupes sédentaires et régulièrement organisées. Les théâtres