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des mystères, accordait en revanche aux confrères le monopole des spectacles profanes. Un emplacement des plus heureux au cœur de la ville, un privilège dont les restrictions même étaient avantageuses, semblaient ouvrir une veine de prospérité. Une concurrence imprévue précipita l’antique confrérie dans une voie de décadence.

L’Italie avait essayé, depuis plus d’un siècle, la rénovation de la scène antique, lorsqu’en 1552, Jodelle donna chez nous sa Cléopâtre. Cette pièce, illisible aujourd’hui, jouée fort médiocrement sans doute par des écoliers, avait le genre de mérite le plus favorable aux ouvrages dramatiques, celui de venir à point. L’érudition exicitait non seulement la juste estime des hommes graves, mais l’engouement de la société frivole. L’effet produit par la Clépâtre fut un éblouissement d’amiration. Avant la fin du XVIe siècle, il s’était formé un répertoire de pièces composées dans le goût antique, ou plutôt à l’imitation de Jodelle. Jouées dans les collèges par la fleur de la jeune littérature, ces pièces réunissaient l’élite des personnages éminens par leur rang ou leur savoir : c’était une distinction que d’être admis à les entendre. L’enthousiasme devint une affaire de mode. Ces succès d’amateurs, décidés à huis clos, était plus funestes aux comédiens de profession qu’une lutte avouée. Mal inspirés par la misère, ils essayèrent de renouveler leur clientelle en flattant les instincts grossiers de la populace : ils s’abaissèrent peu à peu jusqu’à la farce ignoble. Dénoncée aux états de Blois comme ennemie de la morale publique, l’antique confrérie de la Passion fut dispersée. Sa salle et son privilège échurent à une troupe de comédiens qui crut voir des chances de succès dans l’éexploitation du nouveau répertoire classique. L’admiration factice des lettrés ne gagna pas à cette portion nombreuse du public qui veut du plaisir en retour de son argent. Ennuyeuses par elles-mêmes, les pièces érudites devenaient plus insupportables encore par l’exécution. On n’avait pas idée alors des qualités de tenue et de diction, de ce mystérieux mélange d’abandon naturel et de noblesse qui sont nécessaires pour faire valoir les pièces conformes à la poétique grecque. On rompit par nécessité avec Aristote, et on en vint à mettre en scène des romans dialogués sans logique et sans style, mais surchargés de ces incidens dont l’invraisemblance même est une amorce pour la foule béante. Huit cents pièces que Hardy composa dans ce système, procurèrent une existence facile aux comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, et, déterminèrent l’établissement d’une troupe rivale. Quant aux poètes de cette période, ils faisaient si bon marché de leurs succès, qu’ils ne livraient pas même leurs noms au, public. Théophile, Mairet,