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et de donner au masque qui couvrait toute la tête une configuration également exagérée. Les gestes, appesantis par cet attirail, n’avaient rien de spontané. Ils devaient être réglés à l’avance sur la prosodie du discours, et sur l’accompagnement musical. Le jeu muet consistait donc en une succession de mouvemens, de poses expressives, conformes aux lois généralement connues de l’orchestique, et dont, par conséquent, la signification positive ne pouvait pas échapper aux spectateurs.

Gardons-nous de croire néanmoins, d’après M. Schlegel, que l’acteur chez les anciens n’était qu’un instrument passif, que son mérite consistait dans l’exactitude avec laquelle il remplissait son rôle, et non dans l’étalage de ses sentimens particuliers » Autant vaudrait dire que nos chanteurs sont des automates, parce qu’ils obéissent au ryhthme, et que leurs intonations n’ont rien d’arbitraire. Si l’acteur, dans l’antiquité, était dispensé de la recherche des intentions, des jeux de physionomie, des élans improvisés, et de tout ce que nous appelons aujourd’hui la composition d’un rôle, il avait en revanche à faire dans l’exécution une dépense prodigieuse de vitalité et d’intelligence. On peut mettre du génie dans la manière de comprendre et de rendre un effet indiqué, de prendre et de soutenir un ton, de passionner une syllabe, de conduire le geste par une succession d’accens bien frappés et d’ondulations mollement harmonieuses.

Il est hors de doute, d’après tout ce qui précède, que les Grecs ne se proposaient aucunement de faire illusion en reproduisant la réalité extérieure. Pour apprécier le système de leur déclamation, il faut considérer, non pas ses procédés, mais le but qu’on lui assignait. Au lieu de copier, comme les modernes croient le faire, les incidens de la vie humaine, les anciens essayaient d’en éclairer le sens, et le jeu théâtral le plus conforme à ce but leur paraissait le meilleur. Qu’on se représente donc, sur une vaste scène, en plein jour, en plein air, sous l’œil des dieux, des figures colossales éveillant par l’ampleur de leur aspect, par le type de leur physionomie empruntée, l’idée de l’héroïsme. Leur parler a une sonorité étrange et forte, une justesse d’accent irrésistible, une puissance de rhythme pleine de séductions et de mystères : c’est la langue de la passion parlée avec une énergie plus qu’humaine. Egalement entraînés par la mesure, tous les mouvemens corporels se dessinent avec une lenteur noble et majestueuse : ils soulignent, pour ainsi dire, l’intention, en s’arrêtant dans ces poses expressives et parlantes dont la sculpture de grand style peut nous donner une idée. Jamais, dans ce tableau mouvant, le beau n’est sacrifié