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unes, les anciennes surtout, sont d’un ton qui les élève jusqu’à l’idéal ; les autres affectent un naturel vulgaire. Chacun de ces styles a des moyens d’effet qui lui sont propres, et exige, de la part de l’acteur, un mécanisme d’exécution particulier. Que peut-on attendre de ceux qui n’ont pas une perception bien nette de ces deux points de vue ? Nous le voyons par l’exemple de beaucoup de comédiens, hommes d’intelligence et de bonne volonté, mais qui, rejetant par système toutes les notions systématiques et divinisant leurs instincts, s’épuisent en efforts aussi pénible pour le spectateur que pour eux-mêmes.

Généralisant mon observation, je répète que l’affaiblissement de notre scène a pour cause principale la confusion qui est faite des deux théories applicables à l’art de l’acteur, et surtout le mélange des procédés au moyen desquels on obtient des effets dans l’une ou dans l’autre de ces manières opposées.

Je sens la difficulté de bien établir de pareilles nuances, en traitant d’un art qui consiste uniquement dans la pratique et ne laisse que des impressions fugitives. Je voudrais éviter les considérations abstraites dont je me défie, et m’en tenir à rappeler les leçons de l’expérience. Malheureusement ce moyen de vérification n’est pas facile. On compterait par milliers les volumes consacrés dans toutes les langues à l’histoire littéraire des théâtres ; un ouvrage d’une utilité plus directe n’a jamais été entrepris : ce serait une histoire complète et suivie de l’art théâtral, par rapport aux comédiens. À défaut d’un livre si désirable, je vais essayer d’exposer, dans une simple esquisse, les changemens survenus pendant le cours des âgés dans la pratique de la scène. C’est un long chemin que je prends pour arriver au point, de vue que je viens de signaler : si je ne me trompe, les regards qu’on jettera sur le passé seront la meilleure explication du présent.


I - THÉÂTRE ANTIQUE

L’art théâtral naît en Grèce, et, dès l’origine, il s’y élève au plus haut point de l’idéalisation. La tragédie antique, dans la sublimité de sa conception primitive, était une vue idéale des choses de ce monde envisagées religieusement par le côté sérieux, de même que la comédie était un tableau des mœurs idéalisées d’une manière ironique. L’effet cherché par le poète ne résultait pas, comme chez les modernes, d’une imitation plus ou moins exacte des incidens extérieurs de la vie, mais de l’intensité de l’idée qu’il parvenait à graver dans les ames. À ce système dramatique correspondait un genre d’exécution