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que le système n’a rien de bien favorable pour la voix, et Barroilhet, avec son corps fluet et grêle, et l’espèce de museau allongé et luisant que lui fait sa visière d’acier, ne ressemble pas mal à ces personnages à têtes de sauterelle ou de grillon qu’on voit figurer dans les vignettes de Grandville. D’ailleurs, de quelle utilité pouvait-il être d’amener le régent Murray d’Édimbourg à Loch-Leven pour le faire assister à un acte de brutalité que sa seule présence eût rendu impossible ? De quelle utilité ! nous répond M. Niedermeyer, il me fallait pour mon sextuor la voix de Barroilhet ; or, Barroilhet joue le régent, et voilà pourquoi Jacques Stuart, comte de Murray, qui, Dieu merci, avait du sang de gentilhomme dans les veines, souffre sans sourciller qu’à ses yeux un soudard insulté à la faiblesse d’une femme, de sa sœur. Oh ! la musique ! Quant à l’équipage de Mme Dorus au cinquième acte, c’est un costume de fantaisie fort convenable. Cependant les temps de la reine Élisabeth ne sont point si reculés, si fabuleux, qu’on doive tant se mettre en frais d’imagination à leur endroit. Les types abondent ; il ne s’agirait que de vouloir bien prendre la peine de les consulter. Nous nous souvenons, d’avoir vu à Hatfield, chez lord Salisbury (qui est Cécil et descend du fameux lord-trésorier), un portrait de la fille de Henri VIII à l’âge de 25 ou 30 ans, lequel portrait passe en Angleterre pour le plus ressemblant qui existe et naturellement le plus exact sous le rapport de l’ajustement. Qu’on se figure d’énormes manches épaisses et bouffantes comme des oreillers, un corsage en manière de cuirasse se prolongeant en pointe jusqu’aux jambes, un ruff haut d’un demi-pied régnant en galerie sur la lisière de la robe, et partout, sur les manches, sur le corsage, sur les jupes d’une ampleur empesée et raide, partout les serpens familiers, se jouant en toutes sortes de broderies de soie, d’or et de pierreries, comme les salamandres royales de François Ier sur les murs du château de Chambord. J’allais oublier la coiffure, qui n’a pas moins de deux pieds et rappelle celle de Marie-Antoinette. J’ai vu depuis bon nombre de portraits de la reine Élisabeth représentée à différentes époques de sa vie ; tous portent le même costume qui, du reste ne ressemble en aucune façon au dessin adopté par l’Opéra. Comme pendant à la célèbre toile de Hatfield nous citerions encore le portrait de Marie, conservé à Oxford parmi les curiosités de la bibliothèque bodléienne. À voir cette image ; on éprouve d’abord quelque désappointement, on se demande s’il se peut que la femme qui a posé pour ce portrait ait jamais été la plus belle ou même la plus jolie de son pays et de son temps ; et quand on songe à toutes les fascinations que cette femme exerça autour d’elle, et combien de têtes elle tourna d’un sourire ou d’un regard, comme il faut bien finir par trouver le mot de tant de séduction et de magie, on se représente cette grace irrésistible, cet esprit importé de la cour de France, et qui, en multipliant ses triomphes, préparaient sa perte. C’est une vieille histoire, et qui n’a pas manqué de se renouveler depuis lors. En Angleterre comme en France, l’histoire abonde en exemples de ce genre. Qu’il s’appelle Henriette-Marie ou Marie-Antoinette,