Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/1112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La voix de Rubini était une voix pleine, une de ces voix inaltérables, toujours égales à elles-mêmes, identiques, et qui durent la vie d’un homme. Ainsi de Moriani, la voix la plus solide, la plus entièrement pleine qui se puisse concevoir. Mais, comme chez tous les grands chanteurs, ce n’est pas seulement l’organe, c’est sa manière qu’il faut admirer. Qu’on se figure ce qu’il y a au monde de plus pur, de plus large, de plus franc, un spianato poussé aux extrêmes limites du genre ; la simplicité de l’art grec, la majesté du nu, le stylé dorique dans l’ordre musical. Les voix de Tamburini, de Ronconi, de Donzelli, de M. de Candia même, appartiennent plus ou moins à la seconde des trois catégories, et se rangent parmi les voix creuses ou solides, qui peuvent bien, d’une année à l’autre, perdre quelque chose, s’écailler un peu pour ainsi dire, mais qui, au fond, savent réparer leurs brèches, car il y a toujours de l’étoffe en dessous, tandis que les voix vides se brisent entièrement au premier choc. Maintenant, nous craignons bien que la voix du nouveau ténor de l’Opéra ne doive être classée au nombre de ces dernières, et il comme ou l’a publié. Italo Gardoni n’a que vingt-deux ans, les qualités même de cette voix si limpide, si claire, déjà si entièrement débrouillée, nous effraient pour son avenir. Les sons élevés, développés à souhait, ont un charme qui ravit l’oreille ; mais le medium manque, et c’est là, du reste, un défaut assez naturel à ce genre de voix : or, dans cette partie résident justement la force de l’organe et ses principales chances de durée. Demandez plutôt à Mme Stoltz, qui ne doit d’avoir résisté à tant de travaux et d’efforts qu’au medium vigoureux et puissant sur lequel repose sa voix.

Mais qu’avons-nous à nous occuper de l’avenir du jeune artiste, lorsque son présent offre tant de qualités aimables et de motifs d’encouragement ? Gardoni a de la jeunesse, du charme, de l’élégance dans son talent et dans sa personne. Il réussit ; que peut-on demander de plus ? Sans aller jusqu’à dire que le nouveau ténor de l’Académie royale de musique doive entrer immédiatement en possession d’un emploi que M. Duprez semble chaque jour déserter davantage, nous pensons que dès à présent l’administration est en droit d’attendre de lui de bons et utiles services. Sans doute, tous les rôles du répertoire de Nourrit et de Duprez n’iront point à sa taille, il faudra choisir ; mais dans le nombre il s’en trouvera qui siéront à merveille. Nous citerons au premier rang le Raoul des Huguenots. D’après ce qu’on a pu juger de sa tenue, de son goût, de son air, il y sera parfait ; et quant à la ravissante cavatine du quatrième acte, fiez-vous-en à la voix de Gardoni, et soyez sûr que depuis Nourrit jamais elle n’aura été mieux dite. Qu’en pense Meyerbeer ? Y songez-vous ? Meyerbeer a bien d’autres musiques en tête ; Meyerbeer est à Berlin, et la veille du jour où l’Académie royale donnait sa Marie Stuart, l’auteur de Robert-le-Diable a dû faire représenter, devant le roi de Prusse, sa Campagne de Silésie, un Vaterlandisches Oper, qu’il vient d’écrire pour l’inauguration de la nouvelle salle. — N’importe, Meyerbeer n’a pu manquer à cette soirée. Ignorez-vous donc qu’aux chances plus ou moins heureuses