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prépare sur cette thèse : les aperçus d’un esprit alerte et subtil comme le sien ne sont jamais sans importance.

D’après le grand nombre de points que nous avons dû toucher à la suite de M. Michel Chevalier, on peut aisément se représenter le véritable caractère de son enseignement. Pour lui, l’économie politique est avant tout une science d’application, et il a défini assez exactement sa méthode en disant : « Je rechercherai quel contingent de lumières la science économique peut fournir, pour éclairer les grandes questions dont le siècle est saisi. » Il cherche, il expérimente : il a plus de penchant à procéder par l’audacieuse hypothèse que par la sévère analyse qui a fait la force de ses devanciers. Dans sa course un peu capricieuse, il sème une infinité de détails instructifs sur les conseils de prud’hommes, sur les caisses d’épargne, sur le régime des fabriques, sur l’emploi des machines. Il aime à décrire, par forme d’épisode, les procédés industriels ; il détaille enfin, avec une parfaite connaissance de cause, tout ce qui a été fait depuis le commencement du siècle répondre à ce besoin d’activité, à ce soulèvement des intérêts, qui a trouvé aujourd’hui son mot de ralliement : organisation du travail ! Le style[1] est en harmonie parfaite avec la méthode du professeur ; il en a l’indépendance et les défauts séduisans ; la précision, la solidité dogmatique, y sont sacrifiées à la métaphore saisissante, et plus d’une fois le lecteur s’étonne des traits d’imagination qui scintillent comme des rayons lumineux dans une forêt de chiffres.

Cette ambition de réunir, comme dans une encyclopédie sociale, tous les faits qui peuvent intéresser l’administrateur, a eu pour M. Chevalier un inconvénient que nous devons lui signaler. L’économie politique, dans son livre, perd quelquefois le caractère qui fait sa force, celui de science exacte ; ses aperçus, même lorsqu’ils sont justes, sont trop rarement présentés à l’auditeur avec l’autorité d’une démonstration scientifique. Le seul moyen de faire ce qu’on appelle aujourd’hui de l’économie appliquée, c’est d’appliquer, dans toute la rigueur du terme, les axiomes théoriques aux faits, de prévoir dogmatiquement les phénomènes, de vérifier la pratique par les principes abstraits et par l’analyse. Sans ces conditions, on peut être un administrateur fort intelligent, mais on n’est pas un économiste : on fait de l’empirisme et non pas de la science. Ce n’est pas sans raison que nous

  1. Le premier volume a été rédigé par M. Auguste Broët sur les notes sténographiqués de M. Prévost, et c’est justice de dire qu’il ne fait pas disparate avec celui qui appartient pleinement à l’auteur.