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manifestement faux. Les saintes Écritures ne sont point un cours de physique ; elles ne prennent point le langage de la science, encore bien moins celui d’aucun système particulier ; elles ne disent point : il n’y a pas de vide, donc, il y a un Dieu, bizarre argument qui n’est nulle part, si ce n’est peut-être dans quelque obscur cartésien ; mais elles enseignent, et cela à toutes les pages et de toutes les manières, que les cieux racontent la gloire de leur auteur[1]. Et saint Paul, que Pascal ne récusera pas, je l’espère, ne dit-il point : « Ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu, Dieu même le leur ayant fait connaître ; car la grandeur invisible de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité deviennent visibles en se faisant connaître par ses ouvrages depuis la création du monde[2]. »

Ainsi, pour Pascal, il n’y a aucune preuve de l’existence de Dieu. Dans cette impuissance absolue de la raison, Pascal invente un argument, désespéré. Nous pouvons mettre de côté la vérité, mais nous ne pouvons mettre aussi de côté notre intérêt, l’intérêt de notre bonheur éternel. C’est à ce point de vue, et non dans la balance de la raison, qu’il faut estimer et peser le problème d’une divine providence. Si Dieu n’est pas, il ne peut nous arriver aucun malheur d’y avoir cru ; mais si par hasard il est, l’avoir méconnu serait pour nous de la plus terrible conséquence.

« Examinons ce point, et disons : Dieu est, ou il n’est pas. Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare ; il se joue un jeu à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. « …Le juste est de ne point parier. Oui, mais il faut parier…

« Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien ; et deux choses à dégager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir, l’erreur et la misère. Votre raison n’est pas plus blessée, puisqu’il faut nécessairement choisir, en choisissant l’un que l’autre. Voilà un point vidé ; mais votre béatitude[3] ! »

C’est sur ce fondement, non de la vérité, mais de l’intérêt, que

  1. Le Psalmiste : (Coeli enarrant gloriam Dei… Laudent illum coeli et terra… et annuntiabant coeli justitiam ejus… confitebantur coeli mirabilia tua… Laudate eum, coeli coelorum… confession ejus super coelum et terram… interroga et volatilia coeli indicabunt tibi…, etc. »
  2. Êpitre aux Romains, I, 19, 20, 21. Trad. de Sacy, Ed. de Mons.
  3. Des Pensées de Pascal, p. 182 ; app., p. 264. man., p. 4.