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conformité d’application on tire une puissante conjecture d’une conformité d’idée ; mais cela n’est pas absolument convainquant de la dernière conviction, quoiqu’il y ait bien à parier pour l’affirmative, puisqu’on sait qu’on tire souvent les mêmes conséquences des suppositions différentes.

« Cela suffit pour embrouiller au moins la matière, non que cela éteigne absolument la clarté naturelle qui nous assure de ces choses ; les académiciens auraient gagé ; mais cela la ternit et trouble les dogmatistes, à la gloire de la cabale pyrrhonienne, qui consiste à cette ambiguïté ambiguë et dans une certaine obscurité douteuse dont nos doutes, ne peuvent ôter toute la clarté, ni nos lumières naturelles en chasser toutes les ténèbres. »

Voilà déjà la lumière naturelle obscurcie, et, grace à Dieu, la matière embrouillée ; mais le principe d’une clarté naturelle, si faible qu’elle soit, subsiste encore : il le faut détruire, il faut éteindre toute lumière et achever le chaos. Pascal ira donc jusqu’à soutenir que, hors la foi et la révélation, le sentiment lui-même est impuissant. Quoi ! le sentiment sera-t-il à ce point impuissant que, même sans la révélation, l’homme ne sache pas légitimement s’il dort ou s’il veille ? Tout à l’heure Pascal s’était moqué du pyrrhonisme, qui prétendait aller jusque-là. Mais encore une fois, si le pyrrhonisme ne va pas jusque-là il est perdu ; peu à peu le sentiment, l’instinct, le cœur regagneront sur lui une à une toutes les vérités essentielles enlevées à la raison. Il faut donc suivre résolument le pyrrhonisme dans toutes ses conséquences pour que son principe demeure, et Pascal n’ose plus trop affirmer que l’homme sait naturellement s’il dort ou s’il veille.

« Les principales forcés des pyrrhoniens (je laisse les moindres) sont que nous n’avons aucune certitude de la vérité des principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous ; or, ce sentiment naturel n’est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque, n’y ayant point de certitude, hors la foi, si l’homme est créé par un Dieu bon, par un démon méchant et à l’aventure, il est en doute si ces principes nous sont donnés ou véritables ou faux ou incertains, selon notre origine. De plus, que personne n’a d’assurance, hors de la foi, s’il veille ou s’il dort, vu que durant le sommeil on croit veiller aussi fermement que nous le faisons, on croit voir les espaces, les figures, les mouvemens, on sent couler le temps, on le mesure, et enfin on agit de même qu’éveillé ; de sorte que la moitié de la vie se passant en sommeil, par notre propre aveu ou quoi qu’il nous en paraisse, nous n’avons aucune idée du vrai, tous nos sentimens