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qu’on regardait à peine il y a vingt ans ; mais pour ce qui concerne l’ornementation, celle du style à ogive, est tellement spéciale, tellement unique en son genre, qu’il semble impossible, même quand on n’a fait que l’entrevoir, d’en méconnaître l’originalité. Pour nous, loin d’être un plagiat et une œuvre de déraison, l’ornementation du XIIIe siècle est une des créations les plus originales, les plus spontanées, les plus imprévues de l’esprit humain, en même temps qu’une de ses œuvres les plus raisonnables et les plus, méthodiques. Sans doute il est une époque du moyen-âge, celle qui s’écoule entre la chute du style antique et le triomphe du style à ogive, où la décoration architecturale n’est, en grande partie, qu’une imitation dégénérée de l’ornementation grecque et romaine. Bien que, pour être juste, il fallût au moins lui tenir compte des trésors d’imagination qu’elle mêle si souvent aux choses qu’elle imite, et de cet air de jeunesse et de nouveauté qu’elle répand sur les débris qu’elle emprunte, on peut reprocher, si l’on veut, à cette époque sa stérilité et ses compilations ; mais une fois l’ogive devenue maîtresse de l’art de bâtir, où trouver, dans ces ornemens tout nouveaux qu’elle fait éclore, la moindre trace d’imitation ? Dans quel lieu, dans quel temps aurait-elle pris ses exemples ? Nous n’hésitons pas à le dire, ces ornemens apparaissent alors pour la première fois dans le domaine de l’art. Non-seulement ils ne reproduisent, ni de loin ni de près ; les ornemens antiques ; mais ils sont faits, avec intention, dans un sentiment tout contraire. L’originalité, chez eux, va presque jusqu’à l’affectation. Quelques mots seulement pour en donner la preuve.

Les ornemens dont se sert l’architecture peuvent être de deux sortes : tantôt ils consistent en figures purement abstraites et géométriques, tantôt dans une imitation plus ou moins exacte d’objets naturels, tels que végétaux, pierreries, perles, galons ou broderies. Dans l’un et l’autre cas, nous voyons le style à ogive, une fois parvenu à sa maturité, c’est-à-dire vers le commencement du XIIIe siècle, affecter de s’écarter et des traditions antiques et des exemples plus récens soit de l’époque à plein cintre, soit de l’époque de transition. Prenez tous les filets, toutes les moulures creuses ou saillantes, plates ou arrondies, qui décorent une construction du XIIIe siècle ; examinez la forme des arcs doubleaux, celle des nervures qui tapissent les piliers et es voûtes, vous trouverez partout des profils entièrement nouveaux. Dans les siècles précédens, les moulures, même les plus imparfaites et les plus grossières, vous laissent toujours apercevoir, comme travers un verre trouble, le profil romain qu’on s’est proposé pour