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À notre avis, l’architecture des XIIIe et XIVe siècles possède un système de proportion, un système de construction, un système d’ornementation, systèmes qui lui sont propres, qui constituent son originalité, et qui la rendent profondément distincte non-seulement de l’architecture antique, mais de tous les modes de bâtir employés successivement à d’autres époques du moyen-âge.

Voyons d’abord ce qui regarde les proportions.

Point d’architecture sans un système de proportion : nous en tombons d’accord. Il faut qu’un certain rhythme, une certaine mesure, un certain ordre détermine les rapports du tout avec les parties. Si ces rapports sont harmonieux, l’esprit est satisfait, et l’art a rempli sa mission. Mais pourquoi supposer qu’un procédé unique et invariable puisse seul créer cette harmonie ? Il y a de l’ordre dans une architecture dès qu’elle produit l’effet qu’elle a pour but de produire. Peu importe si les moyens qu’elle emploie sont plus ou moins conformes à ceux dont on s’est déjà servi pour produire d’autres effets ; c’est en elle-même qu’il faut la juger, abstraction faite des modèles consacrés.

Le système de l’antiquité repose, comme on sait, sur certains rapports de mesure entre la colonne et l’entablement, entre le support et la chose supportée. Or, il n’y a pas d’entablement dans l’architecture du XIIIe siècle : faut-il en conclure que toute système de proportion lui est interdit, et que ses productions sont nécessairement arbitraires et désordonnées ? Sans doute le mode suivi par les anciens est admirablement simple et régulier. L’esprit humain a peut-être eu tort de l’abandonner ; peut-être, au contraire, comme quelques-uns le pensent, a-t-il fait preuve, en s’en écartant momentanément, d’une heureuse témérité : ce n’est pas là qu’est la question. A tort ou à raison, nos pères, pendant le moyen-âge, sont sortis des voies de l’antiquité, et le chemin qu’ils ont pris les a conduits dans des régions nouvelles, dans un monde inconnu des anciens. Ce monde n’a-t-il pas ses lois, son rhythme, son harmonie ? Cherchez d’abord à le comprendre, et voyez ensuite si ces artistes, que vous croyez barbares, n’en ont pas connu le secret et ne l’ont pas fidèlement exprimé.

N’est-il pas évident, en effet, que c’est volontairement et systématiquement qu’ils ont abandonné, ou plutôt qu’ils ont exclu de leurs constructions la ligne horizontale, si fortement accentuée dans l’entablement antique ? A peine si de légers filets permettent à l’œil de suivre horizontalement la division des divers étages dont ces constructions sont composées, tandis que de fortes saillies verticales, à l’extérieur sous forme de contreforts, l’intérieur sous forme de longues