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de la régularité de l’ordonnance, et, quelles que soient la multiplicité et la variété des détails, ne sentons-nous pas qu’une grande unité de pensée se révèle dans tout le monument ? Cette profonde perspective, la disposition de ces piliers, la manière dont ils se multiplient et se ramifient au sortir d’un trône commun, leur épanouissement pour former et soutenir le couronnement de l’édifice, tout cela n’est-il qu’un jeu du hasard, un effet accidentel et imprévu ? Dites à qui vous voudrez que c’est sans intention et par un caprice irréfléchi que ces voûtes ont été portées si haut et que l’élévation du monument est si grande par rapport à sa largeur, personne ne vous croira. Les uns, si leur esprit est tourné vers l’utile, admireront ce moyen sage et prévoyant de répandre à profusion l’air respirable dans des vaisseaux où de si grandes réunions d’hommes doivent être entassées ; d’autres, portant les yeux hors de ce monde, et s’inquiétant d’autres lois que de celles de la physique, verront dans cette extrême élévation l’intention d’abaisser l’orgueil de l’homme par la comparaison de son infime petitesse avec l’immensité de la maison du Seigneur. Personne ne supposera que ce soit sans but, sans calcul, sans préméditation, que ces hardis travaux aient été exécutés.

Le critique auquel nous répondons, tout en refusant d’admettre qu’à une époque quelconque du moyen-âge il ait existé une architecture, ne peut s’empêcher de reconnaître que quelques-uns des monumens que nous ont laissés ces siècles d’ignorance ont un certain air de grandeur et produisent, surtout à l’intérieur, une assez vive impression[1] mais ce sont là, dit-il, des effets que l’instinct seul peut créer : rien ne prouve qu’ils soient le résultat de combinaisons savantes et réfléchies. Selon lui, les architectes du moyen-âge, aussi bien ceux du XIIIe que ceux du IXe siècle, lors même qu’ils font de belles choses, ne savent pas ce qu’ils font : ils tâtonnent sans règle, sans méthode. Si par fortune ils rencontrent une heureuse disposition, ils sont hors d’état de la reproduire à coup sûr, soit dans un autre édifice, soit même dans les différentes parties du même monument. En un mot, pour réduire à des termes précis l’opinion de l’illustre écrivain, il regarde comme radicalement impossible de découvrir dans cette soi-disant architecture la base, soit d’un système de proportion, soit d’un système de construction, soit d’un système d’ornementation, trois choses sans lesquelles une architecture n’existe pas.

Voilà la question nettement posée ; nous l’acceptons dans ces termes.

  1. Id. , t. II, p. 175, 1re col.