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d’après quelques observations isolées et passagères, l’avaient regardé d’un œil moins distrait ; si, au lieu de confondre et de condamner en bloc tout ce que nos pères ont construit pendant huit ou neuf cents ans, ils avaient seulement examiné les principaux monumens qui, d’après des témoignages authentiques et irrécusables, ont été bâtis en France depuis l’an 1200 jusqu’aux premières années du XVIe siècle, il n’est pas douteux que nous serions bien près de nous entendre ; car s’ils connaissaient ces monumens, s’ils les avaient étudiés, il n’échapperait pas à leur perspicacité que pendant ces trois siècles un principe commun préside à l’art de bâtir, principe aussi neuf que fécond, aussi régulier que hardi, et que ce principe subit successivement trois grandes modifications qui correspondent à peu près à chacun de ces trois siècles.

C’est, je le répète, faute d’avoir, ouvert les yeux qu’on traite toutes ces vérités de chimères et qu’on se renferme dans une incrédulité dédaigneuse.

Au lieu d’examiner les monumens, on proclame, sous forme d’axiome, qu’il n’a jamais existé et qu’il ne peut exister qu’une seule architecture proprement dite, l’architecture classique, attendu qu’elle seule est conforme aux grandes lois de l’intelligence, qu’elle seule possède un système de proportions régulières et de combinaisons constantes, qu’elle seule, en un, mot, repose sur un principe d’ordre[1], tandis que « le genre de bâtisse auquel on donne le nom de gothique, est né de tant d’élémens hétérogènes et dans des temps d’une telle confusion, d’une telle ignorance, que l’extrême diversité de formes qui le constitue, inspirée, par le seul caprice, n’exprime réellement à l’esprit que l’idée du désordre[2]. »

Vérifions sur-le-champ l’exactitude de cette assertion ; entrons dans une de ces bâtisses gothiques : ne choisissons pas, si l’on veut, les plus belles et les plus grandes cathédrales ; n’allons ni à Reims, ni à Chartres, ni à Beauvais ; une simple église de second ou de troisième ordre nous suffira, pourvu qu’elle ait été construite soit au XIIIe, soit au XIVe siècle, et que le caractère de la construction primitive ne soit pas trop altéré par des mutilations ou par des restaurations. Nous voici dans la nef : quelles sont nos impressions ? est-ce l’idée du désordre qui vient nous assaillir ? ne sommes-nous pas frappés, au contraire,

  1. Id., (in-4°, 1833), t. II, p. 175, 2e col. au mot ordre.
  2. Id., t. II, p. 175, 1re col.