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dès le principe, les alarmes les plus vives, les répugnances les plus profondes à l’égard de la révolution française. Il suffit de nommer Burke et de rappeler sa polémique ardente contre notre révolution. Il est certain que ce fut la scission des whigs qui permit à Pitt, qui le força même de se réunir à la coalition européenne. Il n’est pas moins certain que les membres si importans du parti whig qui se séparèrent de Fox et se déclarèrent contre la France, que le duc de Portland, le comte de Fitz-William, Burke, Windham, et plusieurs autres, effrayés par des théories prêchées dans des associations nombreuses et actives, affiliées aux jacobins, n’abandonnèrent ainsi leurs anciennes amitiés que sous l’impression des périls dont ils croyaient la constitution anglaise menacée par les principes révolutionnaires[1]. Ce n’est pas ce motif assurément, ce n’est pas la crainte des dangers dont nous pourrions menacer sa constitution, qui déterminerait aujourd’hui l’Angleterre à nous faire la guerre ; ce ne serait pas davantage le motif qui l’anima dans la lutte contre Napoléon : il est trop évident que le gouvernement de 1830, et nous sommes loin de l’en Minier, ne nourrit pas contre l’Angleterre les desseins acharnés et gigantesques de la politique impériale.

Aucune considération d’intérêt défensif n’impose la guerre à l’Angleterre. Quelque intérêt d’une nature différente la sollicite-t-il à l’agression ? Si la guerre ne lui est pas commandée comme une nécessité, lui serait-elle suggérée par un calcul ?

Il est bien évident d’abord que l’Angleterre ne saurait se proposer, dans une guerre contre la France, aucun agrandissement de territoire. Que peut nous envier l’Angleterre ? A-t-elle, comme au siècle dernier, à nous disputer la possession du nord de l’Amérique aux sources de l’Ohio ? A-t-elle à nous ravir le Canada ? Quelque nouveau Dupleix rêvant de substituer un empire européen à la vaste domination du Grand-Mogol peut-il exciter l’émulation d’un nouveau Clive ? L’Angleterre, qui a fait si bon marché de ses colonies des Indes occidentales, voudrait-elle s’emparer des petites îles que nous avons encore aux Antilles ? L’Angleterre, qui a tant de colonies dont elle n’a à disputer les richesses qu’au sol, dont elle n’a à faire la conquête que par la culture, voudrait-elle nous remplacer dans l’Algérie ? Que voudrait donc l’Angleterre contre nous ? Oserait-elle, nous attaquant dans

  1. La correspondance de Burke, qui vient d’être publiée, démontre complètement la sincérité de ses craintes et de celles de ses amis, et prouve que ces craintes furent le seul motif qui les rallia au ministère.