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qu’un regret. Elle souriait doucement à tout ce qu’il disait ; s’il venait à parler des biens perdus avec trop d’amertume, elle l’entraînait dans son jardin, lui montrait les fleurs de ses plate-bandes, et demandait s’il en était en France de plus fraîches et de plus belles. Aussi, le jour du départ, avait-elle dévoré ses pleurs ; le fait est que, ce jour-là, l’exil avait commencé pour elle. En touchant le sol de la France, ce sol tourmenté qu’elle n’avait jamais entrevu de loin que comme une mer orageuse, Hélène s’était mal défendue d’un sentiment de tristesse et d’effroi ; en pénétrant sous le toit héréditaire, elle avait senti son cœur se serrer et ses yeux se mouiller de larmes qui n’étaient pas des larmes de bonheur. Toutefois, ces premières impressions dissipées. Mlle de La Seiglière s’était acclimatée sans efforts dans sa nouvelle position. Il est des natures de choix que la fortune ne surprend jamais, et qui, portant avec la même aisance les destinées les plus contraires, se trouvent toujours et sans y songer au niveau de leurs prospérités. Tout en ayant conservé sa grâce et sa simplicité natives, cette jeune et belle figure s’encadrait si naturellement dans le luxe de ses ancêtres, elle paraissait elle-même si peu étonnée de s’y voir, que nul, en l’observant, n’aurait pu supposer qu’elle fût née dans un autre berceau, ni qu’elle eût grandi dans une autre atmosphère. Elle continua d’aimer Raoul, comme par le passé, d’une tendresse fraternelle, sans soupçonner qu’il existât un sentiment plus profond ou plus exalté que celui qu’elle éprouvait pour ce jeune homme. Elle ne savait rien de l’amour ; le peu de livres qu’elle avait lus étaient moins faits pour éveiller que pour endormir une jeune imagination. Les personnages que les récits de son père lui avaient représentés de tout temps comme des types de distinction, de grâce et d’élégance, ressemblaient tous plus ou moins à M. de Vaubert, qui, parfaitement nul et distingué d’ailleurs, se trouvait ainsi ne contrarier en rien les idées qu’Hélène pouvait se former d’un époux. Ils avaient, elle et lui, joué sur le même seuil et grandi sous le même toit. Mme de La Seiglière avait bercé l’enfance de Raoul ; Mme de Vaubert avait servi de mère à Hélène. Ils étaient beaux tous deux, tous deux à la fleur de leurs ans. La perspective d’être unis un jour n’avait rien qui pût raisonnablement les effrayer beaucoup l’un et l’autre. Ils s’aimèrent de cette affection compassée assez commune entre amans fiancés avant l’âge et avant l’amour. Le mariage est un but auquel il est bon d’arriver, mais qu’il faut se garder de voir de trop loin, sous peine de supprimer tous les agrémens de la route. Étrangère à tous les actes aussi bien qu’à tous les intérêts de la vie posi-