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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

futaine. Le marquis et Mme  de Vaubert l’appelaient hautement leur vieil ami, gros comme le bras. On ne se lassait pas de l’entendre, on s’extasiait à tout ce qu’il disait. C’était l’esprit gaulois dans sa fleur, un cœur biblique, une ame patriarcale. Quand le train du château eut pris un cours brillant et régulier, on commença de remarquer qu’il faisait ombre et tache au tableau. On ne s’en expliqua pas tout d’abord ; long-temps encore ce ne fut entre le marquis et Mme  de Vaubert que le bon, le cher, l’excellent monsieur Stamply ; seulement, de temps à autre, ils y mêlaient quelques restrictions. De détours en détours, de restrictions en restrictions, ils furent amenés à se déclarer mutuellement que cet esprit gaulois était un rustre et ce cœur biblique un bouvier. On souffrit de ses familiarités, après les avoir encouragées ; ce qui passait, quelques mois auparavant, pour la bonhomie d’un patriarche ne fut plus désormais que la grossièreté d’un manant. Tant qu’on s’était borné au cercle de la famille, on avait pu s’y résigner ; mais au milieu du luxe et des splendeurs de la vie aristocratique, force fut bien de reconnaître que le brave homme n’était plus acceptable. Ce que le marquis et la baronne ne s’avouèrent pas l’un à l’autre, ce dont ils se gardèrent bien tous deux de convenir vis-à-vis d’eux-mêmes, c’est qu’ils lui devaient trop pour l’aimer. Pareille à cette fleur alpestre qui croît sur les cimes et qui meurt dans les basses régions, la reconnaissance ne fleurit que dans les natures élevées. Elle est aussi pareille à cette liqueur d’Orient, qui ne se garde que dans des vases d’or : elle parfume les grandes âmes et s’aigrit dans les petites. La présence de Stamply rappelait au marquis des obligations importunes ; la baronne lui en voulait secrètement du rôle qu’elle avait joué près de lui. On s’appliqua donc à reconduire, avec tous les égards et tous les ménagemens à l’usage des gens comme il faut. Sous prétexte que l’appartement qu’il occupait au sein du château était exposé aux bises du nord, on le relégua dans le corps le plus isolé du logis. Un jour, ayant observé, avec une affectueuse sollicitude, que les fêtes bruyantes et les repas somptueux n’étaient ni de son goût ni de son âge, que ses habitudes et son estomac pourraient en souffrir, le marquis le supplia de ne se point faire violence, et décida qu’à l’avenir on le servirait à part. Vainement Stamply s’en défendit, protestant qu’il s’accommodait très volontiers de l’ordinaire de M. le marquis ; celui-ci n’en voulut rien croire et déclara qu’il ne consentirait jamais à ce que son vieil ami se gênât pour être agréable à ses hôtes. — Vous êtes chez vous, lui dit-il ; faites comme chez vous, vivez à votre guise. On ne change pas à votre âge. — Si bien que Stamply dut finir par